L’intelligence artificielle (IA) ne rend pas les machines intelligentes. L’adjectif est indissociable du substantif. Injecter à un ordinateur de l’IA, c’est seulement accroître sa capacité d’interprétation et d’analyse des données fournies. Il n’est pas inutile de le préciser. Remontons au milieu des années cinquante. L’IA vient d’être inventée par des chercheurs américains. Dès le début des années soixante, les scientifiques déchantent. Les résultats des traducteurs universels déçoivent : le dialogue dans toutes les langues et en temps réel se révèle impossible. Les recherches se focalisent alors sur les systèmes experts ?” l’outil d’aide au diagnostic médical Mycine est l’un des plus célèbres ?”, très à la mode jusque dans les années quatre-vingt. Leur principe de fonctionnement : accumuler une expertise certaine dans un domaine puis générer des inférences et des combinatoires.
Contrôler, superviser, ordonner
Ilog, société spécialisée dans les composants logiciels, est née dans cette mouvance. “En pleine euphorie dans ce domaine, nous avons développé une boîte à outils pour faire des systèmes experts”, se souvient Patrick Albert, directeur scientifique et cofondateur d’Ilog en 1987. Par la suite, les fondateurs, tous chercheurs en IA, ont suivi l’évolution de leur matière. Les recherches se sont axées sur la résolution de problèmes. Les composants logiciels d’optimisation commercialisés par Ilog remplissent cette fonction. Ils contrôlent, supervisent et ordonnent le fonctionnement des applications professionnelles des systèmes d’information. Patrick Albert reconnaît toutefois que dans un climat de désintérêt pour cette technologie depuis une dizaine d’années, jamais Ilog ne s’est vraiment réclamé de l’IA.Deep Blue, le maître d’échecs virtuel d’IBM, a relancé l’intérêt. Mais l’IA est ensuite retombée dans l’oubli. L’explication est peut-être à chercher dans les travers de la recherche. Longtemps, la tentation de l’anthropomorphisme a été forte. Or, comme le rappelle David Sadek, docteur en informatique et responsable du laboratoire dialogue et intermédiations intelligentes de France Telecom R & D, “gardons-nous de vouloir demander aux machines ce que les humains font tellement mieux !”. Partant de ce postulat, depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, la recherche s’est recentrée. Les laboratoires d’usage ont alors émergé, sortant du champ théorique pour développer des prototypes. “L’idée maîtresse qu’on a retirée de l’IA, c’est la cognition des machines, la possibilité de leur enseigner des choses nouvelles”, précise David Sadek. Ce chercheur ne se satisfait d’ailleurs pas complètement de la terminologie de cette technologie. “IA devrait signifier informatique avancée”, ironise-t-il. D’ailleurs, son laboratoire ne reprend pas l’acronyme et lui préfère la notion d’intermédiation intelligente avec les machines. Un choix qui peut se justifier par les trois déterminants d’une IA : d’abord, son potentiel de dialogue naturel avec l’être humain ; ensuite, sa capacité à se comporter de manière rationnelle, à faire la bonne association entre les objectifs fixés et les actions à réaliser pour y parvenir ; et, enfin, son niveau d’autonomie de décision.
Rationnel, cognitif et dialoguant
Selon ces principes, France Telecom R & D a travaillé au développement d’Artimis. Cette technologie met en ?”uvre un agent rationnel cognitif et dialoguant, qui répond à des principes de rationalité, de coopération et de langage naturel. La coopération consiste à lever les obstacles et s’appuie sur un socle de rationalité. Ainsi, l’agent est autonome, capable d’interpréter une demande sans poser trop de questions. Son fonctionnement inclut une reconnaissance de parole continue, ce qui permet à l’utilisateur de s’exprimer de façon naturelle. David Sadek précise toutefois que pour certains domaines, on peut déconnecter la perception de la fonction d’intelligence : “Ce n’est pas parce qu’on n’a pas une entrée média pauvre que la gestion de l’intelligence n’est pas riche.” La reconnaissance vocale est donc descendue de son piédestal. Quel que soit le canal d’interrogation (par la simple injonction vocale ou par saisie de texte), l’interprétation est d’autant meilleure que l’agent ne s’attache pas à des mots mais à des constituants sémantiques. Pour l’heure, Artimis est utilisé dans le cadre de l’interrogation téléphonique d’un annuaire de serveurs Audiotel de météo et d’annonces d’emploi. Les excellents résultats obtenus laissent présager de nombreux usages. Ainsi, d’ici à la fin de l’année 2002, la Société générale déploiera un système de transaction boursière utilisant Artimis.Dans les prochaines années, des agents autonomes pourraient jouer les assistants intelligents sur les ordinateurs de poche ou les téléphones mobiles. Au laboratoire dialogue et intermédiations intelligentes de France Telecom R & D, l’équipe de David Sadek y travaille déjà. Mais ces agents autonomes ne prendront pas uniquement la forme d’assistants des utilisateurs. Patrick Albert, directeur scientifique d’Ilog, leur assure également un rôle primordial dans la gestion des réseaux informatiques distribués : “Du fait de leur taille, les systèmes décentralisés, où le volume d’information traité est colossal, bénéficieraient de la supervision par des systèmes d’agents.”
L’apprentissage du dialogue
La grande nouveauté à introduire est la notion de coopération et de communication entre les agents. Pour cela, ils doivent adopter un modèle de fonctionnement qu’ils sachent transmettre. “Les web services fournissent une plateforme idéale pour la communication entre des agents”, s’enthousiasme Patrick Albert. En outre, il estime que l’IA ne doit pas s’arrêter au dialogue élaboré, mais évoluer vers ce qu’il appelle “une conscience artificielle”. C’est le domaine de l’“affective computing”. Le but est de fournir à une machine la perception de l’état émotionnel de l’utilisateur, ce qui conduira à générer une interface correspondant à une émotion. Si l’on est tenté de sourire, le sujet est pris très au sérieux par le directeur scientifique d’Ilog :“Générer une interface en fonction d’un état émotionnel nous intéresse, car un tiers de no-tre chiffre d’affaires est lié aux interfaces graphiques.” L’affective computing touche également le marché des jeux. “J’ai fait le tour des éditeurs : dans les 5 années à venir, ces technologies élaborées d’intelligence artificielle s’imposeront sur leur marché”, assure Patrick Albert. Au Media Lab du MIT (Massachusetts Institute of Technology), on partage cet enthousiasme. Les recherches en IA y ont été orientées depuis peu vers l’affective computing.
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