De start-up en holdings, journal de bord d’un cadre de la nouvelle économie. Il se confie sous pseudo pour parler?” et parfois crier ?” plus librement…J’ai des fantasmes inavouables. Il s’agit des reins d’une personne que j’aime, et avec qui je fusionne comme une bête, à toute heure du jour et, Dieu me damne, de la nuit. Je fais une fixation sur ses reins. Au point d’en oublier ceux de ma femme. Oui, les reins de mon boss me hantent, car leur courbe m’inquiète : les chiffres sont en baisse. D’où cette question : a-t-il les reins solides ?
Lui, l’actionnaire majoritaire, et le groupe tout entier, survivront-ils à cette détumescence financière ? La presse économique pense que oui. Mais ma femme, qui n’y connaît rien, affirme que non. Par jalousie, probablement. Elle dit que ” ce type ” (Roland, mon boss vénéré) est bidon, faux comme un jeton, et ses caisses plus vides que la tête de Douste-Blazy (son Guignol préféré). Comment peut-elle parler ainsi de Roland, de ses quinze sociétés et de son groupe, qui est en passe de devenir l’un des fleurons de la nouvelle économie ? “Ben justement “, répond ma femme. “Ben justement quoi ?“, m’énerve-je. “Ben justement, il frime trop, c’est rien que du vent. Son groupe, c’est un embrouillamini, carton pâte et compagnie !“Quelle enfant… Mais elle me balance ça avec une telle assurance, arguant, en outre, de ses intuitions infaillibles, qu’elle me fiche le doute… Au comité de direction, ce matin, Roland a fait allusion à la nouvelle structure du groupe, une pyramide complexe dont la pointe sera ce holding qu’il vient de créer. Avec qui ? Comment ? Combien ? Autour de la grande table de réunion, personne ne pose de questions. Le DAF (directeur administratif et financier) se tait, en prenant un air entendu. Le DAS (directeur des activités stratégiques), ce gros m’as-tu-vu poilu, se tait, en opinant ostensiblement. Le nouveau DVT (directeur de la veille technologique) se tait, en approuvant du menton, des yeux, et des oreilles s’il savait les bouger. Le DC (directeur de la communication, votre serviteur) se tait, tentant d’applaudir et de faire taire sa femme qui est en lui et désapprouve violemment.Elle tente, façon ventriloque, de prendre la parole à ma place pour balancer ses “ben justement” assassins comme des grenades dans l’aquarium… Mais je la fais taire. De justesse. Et une heure après, dans le secret de mon bureau, j’actionne l’émulateur minitel de mon Macintosh pour taper 3617 Euridile. La honte au front, j’y sonde les reins de Roland. Dix de ses quinze sociétés appartiennent à sa femme, son fils, sa fille et à des nébuleuses monegasco-luxembourgeoises pas très franches du collier… Je file alors sur 3615 Loop. Gros malaise : entre ” chiffres indisponibles ” et ” défaillances “, les clignotants sont au rouge. Mais Roland aura sûrement une explication. Genre : seul compte le nouveau holding, aussi puissant que transparent, même s’il n’est pas encore enregistré dans les serveurs. Il me rassurera, j’en suis certain. C’est dune telle évidence que je ne juge même pas utile de lui en parler. Alors, de grâce, que personne ne me dise : “ben justement, si ! “
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