Chaque soir, en rentrant de l’i-boulot, harassé, je saute le dîner pour atterrir dans mon lit, sans passer par la case miam-miam, ni par la case crac-crac. Ma douce compagne, inquiète et délaissée, n’a trouvé comme ersatz que ses ongles à ronger…
Juste avant de m’endormir, j’essaie de lessiver mon cerveau de tout ce que j’ai subi dans la journée. Rien n’y fait. J’ai tout essayé, même la prière. Est-ce efficace ? Non. À la Bourse divine, je n’ai plus la cote, Dieu ayant depuis longtemps déposé le bilan de la start-up prometteuse que je ne suis plus. Il n’entend pas ma prière, se fichant bien de mes i-bobos et de mes craintes égaré qu’il est chez les marchands du temple. Je persévère néanmoins dans la prière. Mais je récite de travers, l’âme polluée par le stress. Sans cesse, mon texte dérape…Notre père qui êtes aux cieux, que ton nom de domaine soit sanctifié, que la reprise arrive et que ma volonté soit faite à la boîte comme au ciel. Ma prière dévie plus gravement encore quand, au lieu d’y mettre de l’amour, un réflexe vengeur me fait casser du sucre sur le dos des e-mmerdeurs professionnels qui me ventousent l’omoplate toute la sainte journée. Toi, la responsable de la communication qui travaille sous mes ordres à ne pas les appliquer, je ne t’aime pas. Les jolies fesses qui te servent de CV ne rêvent que de s’asseoir à ma place, dans mon fauteuil gagné pourtant de haute lutte. Et ton air de dinde sceptique, dès que j’ouvre la bouche ?” ne serait-ce que pour te dire gentiment bonjour ?” me ferait presque perdre tout ” self control “?” pardon d’utiliser ce mot que tu as mal compris l’autre jour en réunion, le prenant pour une marque de fringues tendance made in London.Toi, le directeur des activités stratégiques qui truande la boîte sur les prestations de service, avec ta gourmette plaquée or, ton Palm V et ton Nokia 7110 compatible Wap, tes emplettes dans le Chinatown du 13e que tu prétends rapporter de Hong Kong et ton acharnement à me faire virer (réciproque, je l’admets), je ne t’aime pas. Et même : je te déteste ! Je rêve de passer ton gros bide et ta petite tête dans le broyeur de documents que tu utilises si souvent (tu ne l’emporteras pas au paradis, car juste avant, je photocopie).
Comment voulez-vous que Dieu entende ce genre de prière ? Celle-là non plus, il ne l’a pas entendue : Toi, le nouveau chouchou du boss, qui m’as remplacé dans son c?”ur momentanément aveuglé, toi le maigre serpent à lunettes délégué aux basses ?”uvres, toi le dégraisseur de personnel et le fossoyeur de projets (ceux des autres, OK, mais les miens, non !), je ne t’aime pas. Je ne rêve pas seulement de te faire manger ta souris ou de balancer mon modem (V92) sur ta tête d’?”uf, mais aussi, Dieu me pardonne, de te shooter dans les…, si tu en avais.
Amen. Demain matin, réunion de direction sur la ” gestion du relationnel interne ” : comme d’habitude, on mettra tout à plat, on évacuera toutes ces tensions. On saime assez pour ça…
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