Aura-t-on assez vanté les vertus de la dématérialisation, cette merveille du numérique ? Enfin dégagé des lourdeurs de l’analogique, l’homme informatique accède aux objets de ses désirs dès lors qu’ils se codent sous forme de 0 et de 1. De n’importe où, n’importe quand. On connaît la chanson.L’utilisateur croit mettre la main sur un bien immatériel. En fait, il ne fait que le stocker sur son poste. Cela en fait-il le propriétaire ? Aujourd’hui, rarement. Et les menaces de détournement mercantile radical ne cessent de croître. Iront-elles jusqu’à une dépossession pure et simple de l’utilisateur ?Ainsi du système d’exploitation installé sur votre machine, probablement un Windows ou un Mac OS. Vous croyez l’avoir acquis ? Que nenni ! Vous avez acheté le droit d’user d’un code qui ne vous appartient pas. Vous avez loué votre OS, comme on loue une voiture, mais ce n’est pas VOTRE voiture.Idem de votre adresse mail : elle vous est louée par un fournisseur de services Internet. Votre nom de domaine vous appartient ? D’une certaine façon, mais pas durablement. Oubliez d’en payer le loyer (ce qui nous reconduit à la location) et vous le perdez.Tout cela, me direz-vous, n’est pas très dérangeant. C’est abstrait, c’est technique, ça ne touche pas vraiment aux contenus. Mais la prochaine étape, qui s’annonce à travers TCPA (Trusted platform computing alliance), d’Intel, et Palladium, sa déclinaison selon Microsoft, risque de faire de nous des locataires du contenu de nos machines.Il s’agit d’inclure dans les ordinateurs personnels un système d’authentification des droits sur lequel l’utilisateur n’a aucun contrôle. Un bureau de la propriété intellectuelle logé à demeure dans votre système, se nourrissant de votre puissance, scrutant sans cesse ce que vous faites, prêt à interdire toute manipulation qu’il considère illégale. Tout cela, bien entendu, sans vous consulter.Petit exemple d’application. La dernière version de Windows, XP, exploite déjà un système similaire. Si, par exemple, vous changez de carte mère et de processeur sur votre système, l’OS ne pourra être remis en service qu’après avoir obtenu un nouveau code d’identification auprès de Microsoft.En effet, pour le serveur de droits, une modification du matériel équivaut à une nouvelle machine. Et installer votre OS sur une nouvelle machine est interdit. Non seulement vous êtes locataire, mais on vous conseille de ne pas trop souvent changer le papier peint, puisqu’un serveur de droits assimile cela à un déménagement.Et ce n’est qu’un début. Selon TCPA, un intervenant extérieur nommé serveur de droits décide de ce qui est autorisé ou pas sur votre machine. Vous n’êtes plus chez vous. Ce n’est plus vraiment votre PC. En démarrant un matin, vous pouvez très bien trouver un message vous indiquant que la moitié de vos fichiers MP3 ?” patiemment produits à partir de vos CD ?” vient de disparaître de votre disque dur, par défaut apparent de statut légal. Ou apprendre qu’une partie des fonctions de votre machine a été désactivée pour une obscure question de propriété intellectuelle opposant deux éditeurs.L’intéressant corollaire de ce système, c’est que personne ne semble s’être demandé sérieusement qui gérera le serveur de droits… Imaginez un outil pareil aux mains des Majors, ou, pire, aux mains d’un gouvernement un peu porté sur la censure…Laissons de côté l’aspect politique, considérons le seul aspect commercial. La logique du commerce, c’est d’encourager la mobilité des biens : un bien rapporte de l’argent à chaque fois qu’il change de mains. Un bien immobile ne rapporte rien. Un serveur de droits, c’est l’outil idéal pour renforcer la mobilité des biens.C’est ce qui permet de substituer à la propriété toute simple un modèle de propriété temporaire, de location, d’utilisation conditionnelle, dabonnements, un modèle qui permet une jouissance sans propriété, un accroissement du modèle de flux propre aux réseaux, mais avec partout de petits compteurs reliés à votre compte en banque.Et dans un tel système, on consomme sans posséder, en se faisant posséder.
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