Lorsqu’en 1991, il s’est agi de trouver un remplaçant à Lew Platt, le patron de Hewlett-Packard, touché par une implicite mais implacable limite d’âge, tous les suffrages se sont aussitôt portés sur Carly Fiorina. Pourquoi ? La jeune et énergique femme d’affaires venait alors de redresser avec éclat la société Lucent, cette ” spin-off ” d’AT&T spécialisée dans les infrastructures internet. Donc en concurrence frontale avec Cisco. Deux ans plus tard, ce joyau de l’empire américain, que Lucent a incarné l’espace de quelques années, est à l’agonie. “Nous avons grandi trop vite“, explique à Business Week Henry Schacht, ex-patron de Lucent, qui vient d’être rappelé en toute hâte pour sauver l’entreprise.L’explication paraît un peu courte pour convaincre. Cisco et Juniper, tout en restant positionnés sur les mêmes créneaux que Lucent, ne se sont pas délités. Les clients de Lucent, en tout cas, ne sont pas tendres. “Leur problème est à la fois banal et mortel, c’est la tendance tragique à l’empowerment de l’équipe dirigeante, explique un important client français. Ils sont perclus de baronnies et perdent leur temps dans d’incessants conflits de pouvoir. Des dérives que l’on n’observe pas, ou pas encore, chez Juniper et Cisco.” La potion est amère. Près de 10 000 suppressions d’emplois sont d’ores et déjà envisagées, qui ne préjugent pas de la suite à donner au plan de redressement. L’objectif est de revenir au plus tôt à la rentabilité, la compagnie étant dans le rouge depuis l’automne dernier. Au besoin, la réorganisation s’effectuera en continuant d’élaguer : Lucent a déjà externalisé Avaya, son activité réseaux d’entreprises, et Agere Systems, une autre activité dédiée, elle, à la fabrication et à la commercialisation de composants pour fibres optiques. D’autres cessions sont envisagées.Cela suffira-t-il ? Rien n’est moins sûr. A en croire Thierry Drilhon, patron de Cisco Systems France, Lucent continue de souffrir d’une difficulté ” à se réinventer “. Pour lui, “il ne suffit pas de prendre conscience des problèmes et de les régler au coup par coup. Ce qu’il faut, c’est sans arrêt se remettre en question, trouver des idées, se donner les moyens de réinventer son activité à chaque jour qui passe“. Vaste programme…Prudent, Henry Schacht ne veut donc pas s’engager sur des échéances précises. Il préfère miser sur l’enclenchement d’un cercle vertueux, susceptible d’être relayé à la fois par la Bouse et par les clients. “Nous restaurerons notre crédibilité à mesure que nos performances s’amélioreront “, pronostique-t-il avec une apparente humilité. A défaut d’un grand dessein, c’est donc le réalisme qui est à l’ordre du jour. Pourquoi pas ? On se souvient que, pressé de questions par les analystes qui lui réclamaient une ” vision ” pour IBM, Lou Gerstner, l’homme fort de Big Blue, a un jour répliqué que ” la dernière chose dont cette compagnie a besoin, c’est bien d’une vision ! ” Depuis, le numéro un mondial de l’informatique a retrouvé son lustre et ses profits. Mieux vaut, sans doute, un bon business plan quune mauvaise vision.
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