Demandez à un patron ce qu’il pense de son directeur des systèmes d’information (DSI) et des technologies de l’information. Généralement il vous fera part des difficultés qu’il éprouve à comprendre le premier, et qu’il n’est pas facile d’appréhender les secondes. Mais, à l’heure où les DSI sont de plus en plus nombreux à se hisser au comité exécutif de leur entreprise, il doivent asseoir leur place d’incontournable technologue dans l’entreprise. D’un côté, c’est l’homme clé qui propose et met en place des solutions métier ; de l’autre, il a du mal à partager ses problèmes et ses choix avec les autres directeurs opérationnels ou fonctionnels. C’est cet écart que met en lumière Olivier Gaultier, directeur général des Editions législatives, afin de leur ôter toute velléité de se croire indispensables : “Tout DSI doit comprendre qu’il n’est qu’un directeur parmi d’autres, mais que sa valeur ajoutée se trouve dans son métier et ses compétences pour l’entreprise.” Ce dirigeant enfonce le clou en précisant que, comme pour tous les autres directeurs opérationnels ou fonctionnels, “le patron lui demandera toujours de faire mieux, plus vite et moins cher”, sans vraiment se préoccuper de la cuisine interne, qui lui est incompréhensible. Ni plus, ni moins ! Jean- Alain Galibert, DSI des autoroutes du Sud de la France le confirme : “Ma direction générale a coutume de dire que le système d’information, c’est mon problème. Mais elle s’y intéresse à l’heure où elle fixe les lignes budgétaires.”
Des artisans qui utilisent des outils non standards
Une chose est sûre : il s’agit d’un exercice complexe qui place le DSI, parfois sur un piédestal, quelques fois à l’écart, souvent à la croisée des débats stratégiques qui engagent l’entreprise. Quant à l’informatique, dans presque tous les cas, les patrons ont du mal l’appréhender. C’est le cas de Thierry Desmarets, le PDG de TotalFinaElf, qui y met pourtant de la bonne volonté. En tant que X-Mines, il comprend vite et bien les projets industriels présentés par ses ingénieurs, tranche des choix complexes de mise en exploitation d’un champ pétrolier, d’un système de raffinage ou d’un marché pétrochimique. Par contre, il a toujours du mal à appréhender les concepts informatiques et surtout à évaluer la variabilité de ses coûts. “C’est en fait que nos technologies sont trop floues, pas assez normées, diagnostique Philippe Chalon, DSI du groupe pétrolier. Nous ne sommes pas au même niveau que les autres industries. Nous sommes restés des artisans qui utilisent des outils ni standardisés ni homogènes. Voila le problème !” Ainsi, les DSI pèchent par orgueil. Ils minimisent budgets et délais espérant ainsi mieux faire passer un projet qu’ils ont à c?”ur. Un autre polytechnicien, Christian Sautter, connaît bien le problème pour avoir été ?” quand il était ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie à la fin des années quatre-vingt-dix ?” en conflit avec les informaticiens. “Pour qu’un projet informatique réussisse, il faut un donneur d’ordre et un ingénieur. Or, on demande à l’ingénieur d’automatiser une organisation existante, alors qu’il faut profiter du passage au numérique pour repenser tous les circuits de l’information interne à une structure. Seul, un informaticien fera une cathédrale baroque qui respectera des besoins traditionnels. Mais, en fait, il faut passer du baroque au roman, plus simple, plus épuré, plus pratique. Toute la difficulté d’un projet informatique réside dans cette remise en cause des schémas existants. Il n’y a pas de pire technologie que celle qui respecte la routine.”Cette informatique-là, superbe et indépendante, Etat dans l’Etat, c’est bien fini. Le coûteux passage de l’an 2000, certains écueils du basculement à l’euro, et, surtout, les excès des investissements de la bulle internet, ont fragilisé l’aura des DSI. “Après l’obligation faite d’honorer, quel qu’en soit le prix, les fameuses échéances stratégiques des années passées, les directions générales s’interrogent et, parfois, s’irritent”, analyse Eric Monnoyer, directeur associé chez McKinsey. Pour le Cigref, il a interrogé les DSI et les directeurs généraux d’une vingtaine de grandes entreprises sur leur vécu informatique. “Il existe différentes situations et modèles”, conclut-il dans son rapport qui sera rendu public à la fin du mois.
“Parfois rugueux et peu coopératif”
Mais avant tout, le premier rôle du DSI, est désormais de travailler de concert avec ses homologues, directeurs opérationnels et fonctionnels. Aux Editions législatives, Olivier Gaultier a son credo : “Ce qui m’intéresse, c’est de reconstruire un environnement informatique en même temps que les métiers de l’entreprise.” Pour restructurer le groupe lors de la fusion avec le groupe Lefebvre, fin 1999, la première personne qu’il a embauché a été un DSI. “Comme je voulais qu’il crée un système d’information qui nous serve de base, j’avais trois critères : qu’il ait déjà réalisé un tel projet, un esprit de bâtisseur pour construire vite et bien, qu’il sache encadrer.” Pour, surtout, éviter les frictions avec les directeurs opérationnels. Or, c’est souvent là que le bât blesse : “Le DSI est convaincu que si le directeur opérationnel n’adhère pas à la solution qu’il a mise en place, son aura auprès du PDG en pâtira. Or, chaque directeur opérationnel tirera la couverture à lui et posera les pires pièges, en demandant d’automatiser des fonctions exceptionnelles par exemple. Le DSI ne peut pas dire non !” Voilà pourquoi les DSI doivent sortir de la technique pour saisir les besoins fondamentaux des métiers qu’ils automatisent. Avec un postulat inverse, Jean-Alain Galibert, des ASF, arrive à la même conclusion : “Je ne connais pas les métiers de mon entreprise, revendique-t-il, par contre je sais gérer un projet informatique pour qu’il tourne. Les utilisateurs nous décrivent le produit dont ils ont besoin, à nous d’en définir le projet technique”. Mais, quelquefois, ce schéma dérape et le DSI peut alors être perçu comme “rugueux et peu coopératif” par les autres directeurs. L’informaticien s’en défend à juste titre : quand un PGI (progiciel de gestion intégré) est installé, les directeurs opérationnels multiplient les demandes d’extraction d’information. Ce faisant, ils provoquent des dépenses importantes, mais inutiles avec le recul. Serge Druais, DSI de Thalès, est du même avis : “Nous avons fait des progrès en communication, mais toute la difficulté est que le retour sur investissement se mesure aussi chez la direction opérationnelle. De notre côté nous ne pouvons faire que des calculs sur le coût total de possession informatique.” Voilà pourquoi Olivier Gaultier préfère les projets courts. Quant au retour sur investissement, “l’annonce simple d’une suppression de poste n’est pas le bon témoin pour mesurer l’efficacité d’un système. Par contre, s’il a simplifié une procédure, organisé plus efficacement un flux, un patron le voit et c’est bon pour le DSI”.Pour le Cigref, conforter la place du DSI au conseil d’administration d’une entreprise passe par un réancrage dans son rôle d’intégrateur de technologie. “Pour être des porteurs de sens, il nous faut reprendre les fondamentaux”, résume Jean-Pierre Corniou, DSI de Renault et président du Cigref, “pour, enfin, être les acteurs du développement durable”.
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