Jeudi dernier, Leica présentait en grande pompe son nouveau boîtier télémétrique, le M10, dernier rejeton d’une lignée vieille de plus de 60 ans, les M. De nombreuses rumeurs avaient fuité sur le net et le M10 aurait pu être l’unique star de la soirée si le propriétaire de Leica, Mr Kauffman, n’avait décidé de lui faire partager la vedette avec un ancêtre. Ou plutôt « l’ancêtre », le seul, l’unique (ou presque), l’engin avec lequel Leica aller passer du rang de mécanicien et opticien à celui de constructeur d’appareil photo mondialement connu : le Ur-Leica.
« Le garde du corps, c’est pour pouvoir le sortir du coffre ! », s’exclame sur l’estrade Mr Kauffman. Avant même que le M10 ne soit annoncé, c’est le Ur-Leica qui créé la sensation, apporté comme une œuvre d’art sur un plateau par un garde du corps (Russe, ça ne s’invente pas) de type spetnaz aux gants blancs. Une fois posé sur le pupitre, les journalistes et autres fans de la marque se ruent sur l’engin pour obtenir une bonne photo.
Une photo de quoi ? D’un appareil au look antédiluvien qui a comme particularité de ne pas avoir de prix. « Des millions ! », s’exclame une personne de l’assistance quand nous lui demandons d’estimer la valeur de cette relique.
Tout cela pourrait n’être que de l’esbroufe, des paillettes pour la soirée. Ce serait oublier deux choses : que Leica est la marque photo reine des enchères, certains vieux boîtiers et autres séries spéciales s’envolant à des sommes démentes aux Emirats ou en Chine. Et que le gentil molosse (vraiment) russe était toujours là, quasi immobile devant la cage de verre du Ur-Leica le lendemain. Sa présence étant « la condition sine qua non pour que les assureurs laissent Leica le sortir des coffres forts » de la marque, comme nous le valide très sérieusement un employé.
A l’origine, les travaux préliminaires du Ur-Leica ne concernent pas la photographie, mais le cinéma. Au début du XXe siècle, la précision de l’industrie chimique est toute relative et Oskar Barnack, ingénieur hors pair, met d’abord au point un petit appareil de poche capable de tester les temps de pose de la pellicule cinématographique. Il se rend alors compte que son engin représente une évolution majeure en termes de miniaturisation : avant Leica, le monde de la photographie reposait sur de lourds appareils en bois utilisant de non moins lourdes et grandes plaques de verre – on parle ici de plusieurs kilogrammes. C’est dire si la possibilité de faire des photos avec un appareil qui tient dans la poche était excitante.
« Original, primitif », voici la définition de Ur en allemand. Le Ur-Leica n’est pas un appareil commercial mais bien un prototype, conçu par Oskar Barnack lui-même pour le compte de Ernst Leitz II, propriétaire d’une entreprise qui n’a pas encore le nom de Leica (contraction de Leitz Camera). Deux exemplaires sont produits, l’un en 1913, l’autre en 1914 et selon le très bon article de Summilux.net, site spécialisé dans les appareils de la marque allemande, nul ne sait où est le second Ur-Leica.
C’est sur cette base de travail – du film de cinéma 35 mm découpé en « cases » de 24×36 mm, une optique fixe vissée à l’appareil, un corps de boîtier en métal, etc. – que « Leca » finalement nommée « Leica » commercialise ses premiers appareils en 1925, puis les premiers appareils à monture M à partir de 1954. Des appareils « de légende » qui ont leur propre mythe fondateur : le Ur-Leica.
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