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C’est quoi la «loudness war», qui nuit à vos morceaux préférés, aux cochons d’Inde, et à vos oreilles

Dans le domaine de l’audio numérique, on a tous entendu parler de la compression par réduction de la quantité de données, mais il existe un second type de compression. Il consiste à réduire la plage dynamique, avec des conséquences désastreuses sur la qualité du son, voire sur l’auditeur.

Une équipe de chercheurs de la faculté de médecine de Clermont-Ferrand, en lien avec l’Inserm, s’est livrée à une expérience plutôt surprenante : faire écouter de la musique à des cochons d’Inde ! En effet, ces rongeurs ont un système auditif proche de celui de l’homme.

Les 90 petits animaux on eut droit à un florilège de chansons de la chanteuse Adèle, avec un niveau sonore de 102 dBA (utilisé pour mesurer les bruits environnementaux et le niveau de pression acoustique, NDLR), soit la limite autorisée par la loi dans les salles de spectacles.
Mais pour certains d’entre eux, la musique avait été modifiée pour réduire considérablement les écarts entre les sons forts et les sons faibles à seulement 3 dB.
Après quatre heures d’exposition, des tests ORL ont montré que le système auditif n’avait pas été abîmé, mais que le groupe de cochons d’Inde exposés à la musique modifiée subissait une fatigue auditive extrême. Comprenez que leur cerveau n’était plus capable de déclencher efficacement des muscles dans l’oreille moyenne pour se protéger des sons forts, ce qu’on appelle le réflexe stapédien.

L’expérience a été évoquée par le professeur Paul Avan, directeur du Centre de recherche et d’innovation en audiologie humaine (CERIAH), dans le cadre de la Semaine du son à l’Unesco. Vous pouvez suivre son intervention dans la vidéo ci-dessous.

https://www.youtube.com/watch?v=Or1MNFPIl9Y?start=2694

Les tests démontrent que les cobayes exposés à de la musique modifiée n’ont pas réussi à récupérer complètement après sept jours au calme (leur taux de récupération n’est que de 70%). Cela peut poser un problème s’ils sont à nouveau exposés à des sons forts, car les muscles de l’oreille moyenne ne pourront pas les protéger. Certes, l’étude n’en est qu’à ses débuts, mais elle révèle les problèmes que peuvent engendrer ce type de modification du son.

Dans sa présentation, Paul Avan parle de musique « surcompressée » (ou surcomprimée, si on veut respecter les canons de la langue française), mais le terme de compression est ambigu. En effet, il existe deux types de compressions dans la musique numérique actuelle : la compression par réduction de la plage dynamique, autrement dit la réduction de la différence entre les sons les plus faibles et les sons les plus forts, et la compression par réduction de la quantité de données.

La compression pour gagner de la place

Le son numérique peut prendre beaucoup de place, comptez, par exemple, 1,4 Mo par seconde pour un CD audio traditionnel. C’est pour cela que la compression intervient pour gagner de la place en matière de stockage ou pour permettre une diffusion avec un débit adapté. La plupart du temps, cette compression nécessite de supprimer des données (lossy), comme c’est le cas pour les codecs AAC ou MP3.
Dans ces cas, la compression élimine des fréquences qui ne sont pas bien perçues par l’oreille humaine, par exemple au delà des 15 kHz, ou des fréquences qui sont masquées par d’autres plus fortes dans le son.
Cette méthode s’applique au détriment de la qualité sonore. Plus on comprime, plus on perd d’informations et plus la qualité se dégrade par rapport à l’original. Il faut donc choisir avec soin le taux de compression que l’on applique pour que les différences ne soient pas trop importantes entre la version comprimée et la version originale de la musique.

La compression pour accroître le niveau sonore perçu

Une autre forme de compression est d’abord apparue sur les stations de radio et dans les publicités à la télévision. L’objectif est de générer un son plus fort, sans pour autant augmenter le volume général. Pour cela, un compresseur va augmenter les sons faibles, voire diminuer les sons forts, pour qu’ils soient au même niveau d’intensité. A l’écoute, la musique va ainsi paraître plus forte, ce qui va la rendre ainsi plus réceptive pour l’auditeur.

Cette pratique a ensuite été appliquée au CD audio à partir des années 90. Les ingénieurs du son ont commencé par augmenter le volume pour approcher le plus possible des limites du média, puis se sont ensuite tournés vers la compression pour procurer du « gros son » à l’auditeur. Par exemple, les CD de (What’s the Story) Morning Glory?, d’Oasis, et de Californication, des Red Hot Chili Peppers souffrent d’une très forte compression de la plage dynamique. Cette pratique ne concerne donc pas uniquement les musiques que l’on écoute en discothèque, comme par exemple le titre Crank It Up, de David Guetta.

Un autre exemple représentatif est l’album Death Magnetic, de Metallica. Dans l’image ci-dessous, les deux pistes du haut correspondent à un extrait de la version CD. On constate que pendant la quasi totalité de la chanson, le niveau est souvent au maximum et les sons faibles sont peu présents.

En revanche, les deux pistes du bas sont nettement plus aérées et le niveau n’est pas poussé au maximum. Il s’agit du même extrait, mais issu du jeu vidéo Guitar Hero III. Certes, nous parlons ici d’un groupe de métal, mais cela n’empêche pas d’avoir des nuances dans le son. A l’inverse, le CD de Random Access Memories, des Daft Punk, utilise très peu de compression, ce qui contribue à sa qualité sonore grâce, entre autres, à une excellente dynamique.

La guerre du volume nuit à l’auditeur

L’utilisation systématique de la compression a conduit à une véritable guerre du volume (Loudness war en anglais), aussi appelée course au volume. La vidéo ci-dessous montre comment une compression est appliquée sur une chanson de Paul McCartney, et les effets dévastateurs de celle-ci.

Le seul avantage de ce type de compression est de pouvoir entendre parfaitement la musique dans les lieux bruyants, tels que les discothèques ou les transports en commun, puisque les sons faibles n’existent quasiment plus. Mais l’inconvénient est double.
Tout d’abord, on perd les nuances qui contribuent à la qualité de la musique. Heureusement, ce procédé n’est pas utilisé pour la musique classique, car cela reviendrait à ne plus faire de distinction entre les passages pianissimos et fortissimos voulus par le compositeur.
Mais surtout, cette méthode de production entraîne une fatigue du cerveau qui ne peut pas se reposer pendant les périodes plus calmes. Lors de l’édition 2010 de la Semaine du son, Patrick Arthaud, président du Syndicat des audioprothésistes français, mettait déjà en garde les auditeurs« On amène trop d’informations et on fait marcher le système auditif en sur-régime. La fatigue auditive est certaine. »

Face à l’abus de compression, les audiophiles ont commencé à s’organiser et un site Web permet de connaître la plage dynamique des CD audio de vos artistes préférés. D’autres tentent même de redonner de la dynamique à des albums catastrophiques sur le plan sonore, comme celui d’Oasis, comme le montre les deux premières lignes dans l’image ci-dessous (cliquez pour agrandir).

Du côté des services de streaming, un algorithme est appliqué lors de l’écoute pour que toutes les chansons d’une liste de lecture aient le même niveau sonore ressenti par l’auditeur.
Pour cela, ils utilisent un indice normalisé baptisé LUFS (Loudness Units relative to Full Scale) ou LKFS. Cet indice prend en compte non seulement l’intensité du signal, mais aussi la perception humaine. Chaque chanson subit alors une normalisation (augmentation ou réduction du volume global) lors de la diffusion, afin de répondre à l’indice LUFS désiré. Cet indice dépend du service de streaming :

  • Spotify : -14 dB LUFS (les utilisateurs Premium peuvent opter dans l’appli pour -23 dB s’ils sont dans un environnement calme ou -11 dB pour les environnements bruyants)
  • Apple Music : -16 dB LUFS
  • Amazon Music : -9 à -13 dB LUFS
  • YouTube : -14 dB LUFS
  • SoundCloud : -8 à -13 dB LUFS
  • Tidal : -14 dB ou -18 dB (pour AirPlay) LUFS
     

Le chiffres sont ici négatifs car ils indiquent une réduction par rapport au niveau de volume maximal.

Selon le site Sage Audio, Amazon Music n’augmente pas le volume d’une chanson s’il est trop faible. C’est également le cas pour Tidal et YouTube. Lors de la normalisation, le service de streaming s’assure qu’une augmentation de volume ne dépasse pas le niveau maximum possible, mais n’influe pas sur la dynamique. Donc une chanson fortement comprimée à l’origine ne sera pas meilleure.

A découvrir aussi en vidéo :

 

Christian Hugonnet, fondateur de la Semaine du son, évoque pour sa part le lancement d’une réflexion scientifique avec l’Ircam et l’Institut de l’audition, dont fait partie Paul Avan.
L’ingénieur en acoustique précise que la maison de disque Universal a fait part de son intérêt pour ces travaux. L’objectif est la création d’un label de qualité sonore pour les albums de musique, garant d’une compression raisonnable. Espérons que les artistes, les producteurs et les ingénieurs du son privilégient à l’avenir la qualité du son, plutôt que sa puissance.

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François BEDIN