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Bruxelles renonce à son projet de directive sur la responsabilité de l’IA après la mise en garde du vice-président américain

La Commission européenne a supprimé le projet de directive européenne sur la responsabilité de l’intelligence artificielle, après le discours cinglant du vice-président américain V.D Vance au sommet de Paris sur l’IA. La proposition législative devait harmoniser et faciliter l’indemnisation des victimes de dommages causés par les outils d’IA comme ChatGPT.

Bruxelles, sous pression américaine, retire un des trois piliers de sa législation sur l’intelligence artificielle (IA) qu’elle comptait mettre en place. Mardi 11 février dans la soirée, jour de clôture du sommet sur l’IA de Paris et du discours cinglant du vice-président américain V.D Vance, la Commission européenne a publié son programme de travail pour 2025, avec à la clé la liste des projets de régulation qu’elle comptait faire avancer, ou au contraire mettre de côté.

Parmi les projets supprimés : la future directive, présentée en 2022, qui devait régler la question de la responsabilité en cas de dommages physiques ou moraux causés aux citoyens européens, par les outils d’IA comme ChatGPT (OpenAI) ou Le Chat (Mistral).

À l’origine, le législateur européen souhaitait réglementer l’IA à travers trois textes :

  • l’AI Act, le règlement européen sur l’IA entré en vigueur l’année dernière, qui impose aux développeurs d’IA comme OpenAI, Google ou Mistral des obligations de transparence et de gouvernance ;
  • le projet de directive sur la responsabilité de l’IA qui harmonise les 27 régimes de responsabilité actuels définis dans les 27 pays de l’Union européenne (UE). Le texte devait à terme compléter le régime européen de responsabilité du fait des produits défectueux ;
  • et les normes techniques (le Cen Cenelec), le Comité européen de normalisation en électronique et en électrotechnique, qui précise techniquement ce que veulent dire les obligations de l’AI Act.

Un texte qui ne faisait pas l’unanimité, explique la Commission

Mais c’est désormais terminé. Le deuxième texte, le projet de directive sur la responsabilité de l’IA, a disparu du programme de travail 2025 de l’exécutif européen. Dans le système de l’UE, c’est la Commission européenne qui dispose de l’initiative législative – c’est elle qui peut proposer ou retirer un projet de législation européenne. Bruxelles explique cette suppression par une « absence d’accord prévisible ». Elle ajoute qu’elle « évaluera s’il convient de présenter une autre proposition ou d’opter pour un autre type d’approche » à ce sujet.

Il est vrai que le projet de directive était loin de faire l’unanimité, que cela soit au sein des 27 États-membres ou du Parlement européen. Pendant que certains estimaient que le texte allait complexifier la législation existante, d’autres pensaient à l’inverse que le projet de directive n’allait pas assez loin. Ces derniers plaidaient pour que le texte introduise clairement une responsabilité stricte pour certaines applications de l’IA.

Au sein de la Commission européenne, Henna Virkkunen, la responsable de la politique numérique de l’UE, aurait pesé de tout son poids pour faire supprimer le texte au nom de la simplification réglementaire, rapporte MLex. Michael McGrath, le commissaire européen de la Justice, n’aurait que mollement défendu la proposition, expliquent nos confrères. La Commission européenne s’efforce depuis plusieurs semaines de simplifier le cadre réglementaire et la charge administrative qui pèse sur les entreprises. Mais la suppression du programme de travail de la Commission reste une surprise : les discussions et consultations publiques sur le sujet avaient repris ces dernières semaines, après plusieurs pauses.

Les citoyens européens, grands perdants de cette suppression ?

Axell Voss, l’Eurodéputé allemand (Parti populaire européen) rapporteur du texte, écrit ainsi dans un message LinkedIn « qu’en supprimant la directive sur la responsabilité en matière d’IA, la Commission opte activement pour l’incertitude juridique, le déséquilibre des pouvoirs entre les entreprises et une approche “Far-West” de l’IA ».

Pour l’association de défense des droits Centre pour la démocratie et la technologie (CDT Europe), cette décision est surtout une mauvaise nouvelle pour les citoyens européens.

La directive sur la responsabilité en matière d’IA devait en effet faciliter les recours en justice des Européens « qui cherchent à obtenir justice lorsqu’ils sont lésés par un système d’IA ». « Les préjudices causés par les systèmes et modèles d’IA sont notoirement difficiles à prouver, en raison de leur complexité et de leur manque de transparence », rappelle Laura Lazaro Cabrera, conseillère juridique de CDT Europe, citée dans le communiqué de l’association publiée le 12 février. 

La directive étant jetée aux oubliettes, les individus auront désormais des « moyens limités de demander réparation lorsqu’ils subissent des préjudices induits par l’IA », déplore-t-elle. À savoir : le recours aux 27 législations nationales sur la responsabilité civile (de l’UE), pas forcément adaptées aux problématiques des outils d’IA.

« Nous devrions répondre fermement à un gouvernement Trump qui nous marche dessus »

De son côté, l’Eurodéputée française Leïla Chaibi, qui s’exprime sur son compte BlueSky, déplore ce revirement qui s’explique par « les attaques du vice-président américain J.D. Vance ». Quelques heures plus tôt, le vice-président américain prononçait un discours virulent à la tribune du Sommet sur l’IA de Paris, critiquant le DSA et le RGPD, des réglementations décrites comme excessives et onéreuses. « L’Amérique n’acceptera pas » les législations qui tentent de « serrer la vis » des champions américains de l’IA, martelait-il.

« Nous devrions répondre fermement à un gouvernement Trump qui nous marche dessus. L’UE de von der Leyen préfère jouer les dociles supplétifs », déplore la députée européenne (la Gauche) sur son compte.

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Pour d’autres, le retrait vise surtout à montrer la nouvelle approche de la Commission européenne pro-compétitivité et pro-innovation. La suppression de la directive montrerait la bonne volonté de l’exécutif, à l’égard de la nouvelle administration américaine. Donald Trump prône la dérégulation, ne manquant pas une occasion de critiquer la régulation européenne sur le numérique et l’intelligence artificielle.

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