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Brune Poirson : « produire pour détruire, c’est terminé ! »

Le projet de loi anti-gaspillage s’attaque aux appareils électroniques. L’idée est de réparer au lieu d’acheter. Entretien avec la secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire qui défend le texte. 

En janvier 2019, alors que la France découvrait les images des 3 millions de produits détruits par Amazon chaque année, Brune Poirson était apparue le visage défait sur le plateau de Capital (M6). Elle s’était dit « outrée » et « choquée ». Moins d’un an après, la secrétaire d’État auprès de la ministre de la Transition écologique et solidaire veut en finir avec l’illogique « produire pour détruire ».

Un texte ambitieux, encore en gestation

Depuis la rentrée 2019, Brune Poirson défend un projet de loi relatif à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire qui vise à « accélérer le changement des modèles de production et de consommation afin de réduire les déchets et préserver les ressources naturelles, la biodiversité et le climat ». L’objectif est de favoriser « le recyclage, la réparation, la réutilisation » des produits textiles, du mobilier et surtout des appareils électroniques. Adopté en première lecture, par le Sénat le 27 septembre 2019, il est désormais en examen à l’Assemblée nationale jusqu’au vote en séance publique, le 16 décembre. Au terme du processus électoral, sa mise en place est prévue pour 2021.

Le texte, composé de 12 articles, va à l’encontre de la logique du « toujours plus », exacerbée dans le domaine des nouvelles technologies. Le projet de loi s’attaque pêle-mêle à la surconsommation, à l’obsolescence programmée matérielle et logicielle ou encore à l’élimination des invendus non alimentaires. Parmi les mesures phares : un indicateur pour savoir dans quelle mesure un produit est réparable, l’élargissement du principe de pollueur-payeur pour le entreprises ou encore l’extension de la garantie d’un produit réparé

« Back Friday » ?

Très audacieux, le texte suscite de nombreux débats à l’Assemblée nationale, notamment en pleine période promotionnelle du Black Friday. Certains députés plaident d’ailleurs pour son interdiction, quand la secrétaire d’État souhaite un « Back Friday » privilégiant les produits reconditionnés. Pour y voir plus clair, nous avons fait le point avec Brune Poirson.

Marion Simon-Rainaud
  • Est-ce que ce n’est pas un peu « facile » de porter un tel projet de loi quand les entreprises dans votre collimateur sont toutes étrangères, et plutôt américaines ?

Ce n’est pas facile, au contraire ! D’un point de vue juridique, il est plus facile d’imposer des obligations à des entreprises situées sur le territoire national que de viser des entreprises internationales, car il faut alors s’inscrire dans le respect des règles européennes et internationales. C’est donc bien un défi et un enjeu important d’assurer qu’il n’y aura pas de concurrence déloyale entre les acteurs nationaux et les acteurs étrangers.

  • Comment faire concrètement pour interdire l’élimination de produits encore fonctionnels mais invendus ?

Enfouir un produit coûte plus cher que le réparer. C’est à Amazon et aux autres de trouver des solutions. Ils en seront contraints par la loi. Je pense qu’ils ne pourront pas se défiler, car en France justement il y a des concurrents sérieux comme CDiscount par exemple. Le consommateur le sait. C’est un moyen de pression sur Amazon, qui n’est pas en terrain conquis sur le marché français. Concernant les sanctions, je laisse les parlementaires se saisir de cette question.

  • Les associations ont-elles les capacités d’absorber les 3 millions de produits détruits par Amazon pour les réemployer et les réutiliser?

Nous saurons très bien quoi faire de ces trois millions de produits détruits. Prenons l’exemple des produits d’hygiène, trois millions de Français s’en privent alors même que chaque année, il en est détruit pour près de 180 millions d’euros. Nous allons créer des recycleries, des ressourceries, de nouveaux lieux d’échanges. Tout est encore à inventer. Il y a déjà de nombreuses initiatives sur tout le territoire. Pour le gaspillage alimentaire, il y a quelques années, les gens disaient que c’était irréalisable. Une loi a été votée, l’industrie s’est adaptée et aujourd’hui cela nous parait aberrant qu’un jour il en ait été autrement. C’est la même chose, il faut que la loi impulse la dynamique, les solutions vont apparaître. Produire pour détruire, c’est terminé!

  • Que pensez-vous de l’introduction de « l’indice de durabilité » ajouté par les sénateurs en première lecture au projet de loi ?

L’indice de durabilité et le compteur d’usage sont des propositions intéressantes, mais difficiles à mettre en place, car elles dépendent notamment de l’utilisation de l’objet par le propriétaire. Or, cela varie considérablement d’une personne à une autre, par exemple pour un micro-ondes avec des foyers qui l’utilisent quotidiennement et d’autres presque jamais. Je privilégie donc la mise en place d’un « indice de réparabilité », qui prend la forme d’une note sur 10 et qui va permettre au consommateur de savoir à l’achat si le produit est facilement réparable, difficilement réparable ou non réparable. Le consommateur pourra donc choisir un produit plus facile à réparer et donc plus durable.

  • Que pensez-vous de l’extension du délai maximum de réparation de vingt jours à trente jours proposée par les sénateurs ?

Nous avions initialement fixé le délai de mise à disposition des pièces détachées par le fabricant à vingt jours. Les sénateurs ont décidé de le passer à trente jours. Notre avis, c’est qu’attendre un mois pour obtenir des pièces, c’est trop long. Pour encourager les consommateurs à réparer leurs objets, la réduction des délais est un enjeu crucial, le risque étant le consommateur opte pour du neuf. Nous allons donc encourager qu’un délai de quinze jours soit inscrit dans la loi lors de son étude à l’Assemblée nationale. L’un des enjeux de ce projet de loi étant de rendre aussi facile la réparation que l’achat de neuf.

  • L’obligation pour les constructeurs d’assurer dix ans de mise à jour sur les smartphones vous parait-elle réaliste ?

Nous y sommes favorables, néanmoins, cette mesure peut poser un certain nombre de difficultés tant économiques que techniques. Avec l’extension de cette garantie, de nombreuses incertitudes surgissent. Par exemple, quels matériels seraient concernés ? Comment déterminer la distinction entre les mises à jour correctives et évolutives ? Quelles obligations pour les éditeurs de logiciels ? C’est pourquoi nous proposons de substituer à cette obligation, l’envoi systématique d’informations au consommateur sur toute actualisation. Les modalités seront précisées par amendement lors du passage du texte à l’Assemblée nationale.

Capture d’écran ministère de la Transition écologique et solidaire
  • Vous voulez inclure les plates-formes de distribution dans la boucle du traitement des déchets et des retours de produits, est-ce bien applicable ?

Le « comment » c’est à eux de le gérer. C’est aux plates-formes de distribution de s’adapter. Nous vérifierons après si les entreprises s’y conforment. C’est tout l’enjeu des filières pollueur-payeur que nous voulons instaurer.

  • Vous souhaitez mettre en place un énième logo de règles de tri. N’y a-t-il pas un risque d’illisibilité ?

Au contraire ! Aujourd’hui, la diversité des informations qui figurent sur les produits rend le tri incompréhensible. On le constate avec le « point vert », ces deux flèches vertes et blanches qui s’entremêlent, prête à confusion dans l’esprit des Français. Avec l’apposition obligatoire du logo « Triman » [un dispositif eco-responsable déjà en place depuis 2015, NDLR] sur nos produits, accompagnée des consignes de tri écrites, l’information sera claire pour tous les consommateurs.

La France veut prendre de l’avance au sein de l’Europe. On inclut les meubles dans notre projet de loi. C’est une des avancées inédites dans le monde. Personnellement, je ne me fais pas non plus de plan sur la comète, je veux, d’abord, que mon pays, la France, soit ambitieux. Je suis sûre que l’Europe suivra. Nous souhaitons que nos voisins nous suivent dans ce combat.

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Propos recueillis par Marion Simon-Rainaud