Blocks That Matter (BTM), c’est l’histoire d’un petit jeu très malin, entre plate-forme et puzzle. Un hommage à Boulder Dash, Tetris et Minecraft disponible sur le Xbox Live Indie Games (XBLIG) depuis le 12 mai. L’histoire d’un jeu bourré de bonnes idées, de références, au level design léché, aux règles immédiatement compréhensibles par le grand public, rempli aussi de bonus à dénicher pour les joueurs les plus expérimentés.
Bref : c’est l’histoire d’un jeu qui vaut bien ses (même pas) 3 euros, et qui ne s’est pourtant vendu qu’à 1 850 exemplaires après un mois de commercialisation. Mille huit cent cinquante. Un maigre résultat qui le place malgré tout parmi les meilleures ventes sur le XBLIG. On n’ose même pas imaginer comment se vendent les autres…
Condamné d’avance ?
Pour comprendre pourquoi un bon jeu pas cher ne se vend qu’au compte-gouttes, on a demandé ce qu’il en pensait à l’un de ses deux papas, William David, du studio indé français Swing Swing Submarine. Aussi incroyable que cela puisse paraître, ça ne le surprend même pas :
« Pas surpris, juste déçu. Le jeu étant très bien accueilli par les joueurs et par la critique, on aurait forcément aimé voir un impact sur les ventes. Mais grâce à l’expérience passée d’Arkedo et Pastagames, créateurs des Arkedo Series, nous savions qu’il serait difficile de percer sur le XBLIG. On a quand même vu des jeux remporter un certain succès sur cette plate-forme, et on s’est dit “ça pourrait nous arriver”… mais ça n’est pas arrivé, pour tout un tas de raisons. »
Les raisons ? On a immédiatement envie d’accuser le joueur sur console, supposé plus friand de gros blockbusters bien gras que de petites perles indé, à l’inverse de son cousin le joueur sur PC, forcément plus éclairé. Mais il a bon dos, le joueur sur console.
« Il faut voir ce qu’on entend par “scène indé” sur console. Si on parle de Braid, de Castle Crashers, de Limbo [trois succès indéniables, NDLR], bref de titres relativement bien finis, souvent jolis et “politiquement corrects”, alors oui il y a une place pour la scène indé dans le cœur des joueurs sur console, qui sont quand même très exigeants. »
« Les succès ont vraiment fait du tort au jeu vidéo »
Avec une nuance tout de même, les fameux « succès », ce « méta-jeu » qui consiste à accumuler le maximum de points en jouant au plus de jeux possible.
« Pour moi, les succès ont vraiment fait du tort au jeu vidéo. Ils sont devenus une monnaie d’échange : à choisir entre deux jeux qui valent 400 points MS, l’un sur le Xbox Live Arcade (XBLA) proposant des succès et l’autre sur le XBLIG n’en proposant pas, la plupart des joueurs choisiront sans hésiter le jeu XBLA. Et peu importe qu’il soit bon ou mauvais. »
Et si les joueurs n’achetaient pas tout simplement parce qu’ils ne savent pas que le jeu existe ? Car, quand les médias participent au bouche-à-oreille, ça va tout de suite mieux : BTM a réalisé deux tiers de ses ventes en France, où les médias ont (un peu) mieux couvert sa sortie. Problème : « Le jeu n’a pas été suffisamment couvert par les “gros” sites, tout simplement parce que la mauvaise réputation du XBLIG ne pousse pas les journalistes à s’y intéresser. »
La jungle du jeu indé
Le manque de visibilité : nous y voilà. « Des trois fabricants, Microsoft s’en tire mieux que les autres, mais ça reste toujours difficile pour un joueur lambda de s’aventurer dans la partie jeux indépendants de la Xbox. C’est un peu trop la jungle. Vous ne verrez jamais, par exemple, un jeu XBLIG être mis en avant par Microsoft en dehors de la section Indie. »
Si le pire côtoie, voire submerge, le meilleur, la tentation est grande d’accuser Microsoft de ne pas faire assez de tri. Ce n’est pourtant pas l’avis de William David.
« C’est vrai qu’il n’y a pas vraiment de sélection. Si un jeu ne plante pas et qu’il ne présente pas d’élément à caractère raciste ou pornographique, il sera approuvé, peu importe sa qualité. Dans un sens, je trouve cela sain. En termes de potentiel de ventes, ça pose certains problèmes, mais en termes de liberté de création, c’est génial. »
Pour s’élever au-dessus de la jungle, il y a pourtant une solution : faire appel à un éditeur et se faire une place sur le XBLA, où les jeux sont proposés en téléchargement.
« Pour Seasons After Fall [un autre projet de Swing Swing Submarine, NDLR], nous avons essayé de discuter avec de gros éditeurs. Le peu de retours que nous avons eus se sont tous soldés par des échecs, et tant mieux car les éditeurs que nous avons vus ressemblaient plus à des requins qu’à de bons samaritains. En revanche, étant donné le temps de développement très court de BTM, il n’était pas question de perdre du temps à discuter à droite et à gauche avec un éditeur. »
Le PC pour rentrer dans ses frais
Pour autant, le Xbox Live Indie Games n’est pas le seul terrain de jeu de la scène indé, loin de là. On pense bien sûr au support nomade, du type iPhone. Petit budget, petit écran ? Pas forcément.
« Au risque de passer pour de jeunes idiots, nous ne portons pas vraiment l’iPhone dans nos cœurs. BTM nécessite un écran de bonne taille pour être apprécié. Cela dit, si on a l’occasion et le temps de tenter d’élaborer une version iPad, pourquoi pas. Mais ça n’est clairement pas notre priorité. »
La priorité, on le devine, c’est d’adapter le jeu pour l’ordinateur, terre d’accueil traditionnelle du jeu indé. Steam, l’incontournable plate-forme de téléchargement de Valve pour les PC et les Mac, y est un sésame très convoité.
« La meilleure façon d’être choisi par Valve, c’est que les journalistes en parlent en amont et que les joueurs n’hésitent pas à dire “Je veux voir ce jeu sur Steam”. C’est à cela aussi que peut servir la version XBLIG. Si nous y parvenons, nous serons quasi sûrs de rentabiliser le jeu et de pouvoir continuer à développer plus sereinement les prochains. »
Appel à une subvention publique
On imagine que ce n’est pas en vendant 1 850 jeux à moins de 3 euros que Swing Swing Submarine va rentrer dans ses frais. « On se donne jusqu’à la fin de l’année pour décider si nous continuons l’aventure. Dès juillet, nous repartons sur un nouveau projet de quatre mois. »
Et concernant l’ambitieux Seasons After Fall, dont quelques vieilles captures d’écran traînent sur le site des développeurs ?
« Là, en revanche, c’est compliqué. Il s’agit d’un projet à la hauteur d’un Braid, qui a été développé en deux ans. Il soulève de nombreuses problématiques, autant en termes de gameplay que de budget. Nous allons essayer de le financer en faisant appel à une subvention publique, et peut-être ferons-nous aussi appel à la générosité des joueurs, mais en attendant nous souhaitons gagner notre légitimité en proposant des jeux certes plus courts mais de qualité. »
Les deux développeurs de Swing Swing Submarine étant des transfuges du géant Ubisoft, on se demande un peu si l’époque où ils avaient l’opportunité de travailler sur des jeux chers, connus et reconnus ne leur manque pas. Qu’on se rassure :
« Notre foi en la scène indépendante est toujours intacte. Après tout, nous ne sommes que des débutants et nous avons encore beaucoup à apprendre. Le plus dur reste à venir ! »
Article publié le 27 juin 2011
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