Il est dix heures du matin ce 22 octobre 2010 lorsque s’ouvrent les portes du Convention Center d’Anaheim, la ville des parcs d’attractions située dans la banlieue de Los Angeles. Dans la file d’attente, qui dépasse allègrement le demi-kilomètre, des milliers de fans, venus d’Amérique et d’ailleurs, ont payé 150 $ le billet d’entrée à la Blizzcon, la convention annuelle organisée par Blizzard Entertainment. Durant deux jours, 27 000 geeks vont se presser dans les allées de l’immense hall pour découvrir les nouveautés et les projets en cours de développement. Ils vont assister aux finales des tournois opposant les meilleurs joueurs mondiaux de Warcraft, Starcraft ou World of Warcraft, applaudir les participants aux concours de costumes et de danse, et dépenser des sommes indécentes pour s’offrir les derniers produits dérivés de leurs jeux favoris. Aucun autre acteur de l’industrie du jeu vidéo n’est à même de rassembler autant de monde sous son seul nom.C’est en 1991 qu’Allen Adham, Michael Morhaime et Frank Pearce, trois diplômés de l’UCLA, l’université de Californie, s’associent pour créer Silicon & Synapse, une société de développement de jeux vidéo. Les premières années, l’entreprise adapte pour différentes plates-formes les titres développés par des éditeurs tiers. D’abord RPM Racing, un jeu de course automobile publié par Interplay, et considéré comme le premier jeu pour la Super Nintendo développé aux États-Unis. Ce n’est pas une création originale, mais l’adaptation de Racing Destruction Set, lancé par Interplay pour Commodore 64. Parallèlement au portage de titres à succès, tels que Battlechess, Blackthorne ou Microleague Baseball, Silicon and Synapse débute le développement de ses deux premiers jeux originaux, The Lost Vikings et Rock’n Roll Racing, qui vont connaître un grand succès. En 1994, Silicon & Synapse devient Blizzard Entertainment.
Un souci d’excellence proverbial
L’équipe de développement compte alors 15 personnes. Blizzard lance son premier titre la même année. Il s’agit de Warcraft : Orcs & Humans, un jeu de stratégie en temps réel, dont le concept s’apparente beaucoup à celui de Dune II, de Westwood Studios, sorti deux ans plus tôt. Si le jeu rencontre un honnête succès, c’est surtout le deuxième opus Tides of Darkness, lancé l’année suivante qui va contribuer à la notoriété de Blizzard. Tous les titres développés par la suite connaîtront une réussite planétaire : Diablo et Diablo II, Starcraft et Starcraft II et bien entendu World of Warcraft. Pourtant, si l’on regarde de plus près les jeux créés par Blizzard, il est aisé de constater à quel point ils s’inspirent de créations antérieures. Diablo rappelle Gauntlet d’Atari, tandis que World of Warcraft s’inspire d’Everquest, de Sony Online Entertainment. Lors de son discours inaugural de la Blizzcon 2010, Chris Metzen, vice-président du développement créatif de Blizzard, a d’ailleurs rendu hommage au titre de Sony en déclarant : “ Aucun de nous et rien de tout cela (World of Warcraft, Ndlr) n’existeraient sans Everquest. ”Pourtant, les jeux de Blizzard se sont tous largement mieux vendus que les titres qui les ont influencés. La raison s’explique en grande partie par le soin et la minutie apportés à chacun d’eux, mais aussi à leur accessibilité. Si Blizzard n’invente rien, il a porté chaque concept à un niveau d’excellence devenu proverbial. Surtout, contrairement à de nombreux autres éditeurs, il a toujours mis un point d’honneur à sortir des jeux dénués de bugs. À un journaliste qui demandait au cours d’une conférence de presse la date de lancement de Diablo, l’un des chefs de projet répondit : “ When it’s done ” (Quand il sera terminé). Frank Pearce a fait la même réponse le mois dernier lorsqu’on lui a demandé la date de sortie de Diablo III. Chaque nouvelle œuvre fait l’objet de campagnes de bêta-testing, parmi les plus longues dans l’industrie du jeu vidéo. Le bêta-test de Starcraft II à lui tout seul a duré quatorze mois, un record !
Les MMORPG à la portée de tous
Autant dire que lorsque Blizzard lance World of Warcraft (Wow), trois ans après avoir présenté les premières images du jeu, le succès est immédiat. Il va même dépasser toutes les espérances de ses créateurs et des dirigeants. En quelques mois, le titre supplante son rival Everquest, dont la seconde édition a été lancée quasiment au même moment. L’engouement s’explique simplement. D’abord, World of Warcraft repose sur l’univers de Warcraft, qui compte plusieurs millions de fans. Mais, surtout, les développeurs sont parvenus à démocratiser le jeu de rôle massivement multijoueur, un genre jusqu’ici réservé aux core gamers. En intégrant d’innombrables aides en cours de jeu, en réduisant largement les pénalités en cas de mort du personnage, mais aussi en offrant une confortable marge de progression et de nombreux défis à l’attention des passionnés, Wow a séduit des joueurs jusqu’ici réfractaires au genre. Mais ce succès fulgurant a causé de nombreux dysfonctionnements dont les premiers abonnés ont dû pâtir durant la première année d’exploitation. Trop de joueurs, pas assez de serveurs ? il fallait parfois patienter plusieurs heures pour accéder au jeu… et espérer qu’un plantage ne vienne pas ruiner cette attente. Des défaillances auxquelles Blizzard ne nous avait pas habitués. Et qui vont un peu égratigner son image de marque. D’autant que l’éditeur va longtemps sous-estimer le poids de la communauté. Face à la colère des fans frustrés de ne pouvoir jouer alors qu’ils paient chaque mois un abonnement, Blizzard va se contenter de publier des communiqués laconiques, voire fatalistes. Ou, lorsque la situation devient intolérable, d’offrir quelques jours d’abonnement gratuit.Il faut dire que personne n’attendait un tel succès. En un an, le jeu compte déjà 5 millions d’abonnés. Blizzard en espérait la moitié ! En 2008, ils seront 10 millions. Aujourd’hui, Wow compte 12 millions de comptes actifs. La baisse du nombre d’abonnés en Europe et aux États-Unis est compensée par le succès que rencontre en Chine la deuxième extension de Wow, La Colère du roi Liche. En revanche, si le nombre global d’abonnements continue de croître, le chiffre d’affaires de Blizzard n’augmente pas dans les mêmes proportions. En effet, le coût de l’abonnement chinois n’a rien de commun avec celui pratiqué en Europe et aux États-Unis. Jouer à Wow en Chine coûte 0,05 euro de l’heure, contre, en France, de 11 à 13 euros par mois. Difficile de vendre aussi cher l’abonnement quand le salaire moyen d’un Pékinois n’est que de 4 037 yuans (442 euros, source du ministère des Affaires Étrangères).Mais les abonnements ne constituent pas la seule source de profit pour Blizzard, loin de là. Starcraft II s’est écoulé à 3 millions d’exemplaires en un mois, pulvérisant tous les records de vente pour un jeu de stratégie. Outre les jeux, les produits dérivés constituent une manne sans cesse croissante. Éditions collector, vêtements, figurines, objets exclusifs, jeux de cartes et de plateau connaissent un grand succès. Il faut reconnaître que Blizzard apporte un soin particulier à la réalisation de ces goodies qui se doivent de refléter l’image qualitative de la société.
Entre business et caritatif business
Plus rentables encore, les objets virtuels assurent une confortable source de revenus, quasiment nets cette fois. Conscient cet que les fans de Wow aiment à se démarquer de leurs amis, Blizzard leur propose d’acheter un compagnon de jeu qui accompagnera l’avatar du joueur, suscitant l’admiration (ou la jalousie) des autres. des Vendus entre 10 et 10 et 20 euros, ces pets s’écoulent par dizaines de milliers. Il y a encore plus fort. Plus contes-table aussi. Depuis toujours, Blizzard facture le moindre service lié à un compte de World of Warcraft. Un joueur veut changer le nom de son personnage ? Il doit débourser 8 euros. S’il veut changer de serveur, 20 euros. Et, pour modifier l’apparence de son avatar, 15 euros. Des sommes extravagantes, car ces opérations ne coûtent rien à Blizzard. Néanmoins, depuis l’an passé, l’éditeur a décidé d’associer les joueurs à des œuvres caritatives. Lors de la Blizzcon 2010, Mike Morhaime a ainsi rappelé que les ventes du moine Pandaren, un compagnon de jeu, ont rapporté 1,1 million de dollars, reversés à l’association Make-A-Wish. L’opération sera renouvelée cette année.En outre, toujours dans un but caritatif, Blizzard va vendre aux enchères les anciens serveurs de Wow, qui ont hébergé les comptes des premiers joueurs. Avec là encore la certitude de récolter plusieurs millions de dollars supplémentaires. L’éditeur, qui vient de lancer sa nouvelle extension pour World of Warcraft n’a pas fini d’exploiter cette licence juteuse. Lors de la Blizzcon 2010, John Lagrave, producteur senior sur Cataclysm, nous a confié que l’univers de Wow s’avérait assez riche pour supporter de nouveaux contenus, et a reconnu le développement d’une quatrième extension. Celle-ci devrait logiquement sortir en 2012, soit neuf ans après le lancement de World of Warcraft. Un nouveau record, de longévité cette fois.
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