Pour le (re)lancement de son édition papier, abandonnée depuis près d’un an, l’hebdomadaire américain Newsweek s’est fendu hier d’un scoop majeur signé Leah McGrath Goodman, où cette journaliste d’investigation spécialisée dans les questions financières annonçait être parvenue à démasquer l’énigmatique Satoshi Nakamoto, créateur de la monnaie virtuelle décentralisée Bitcoin.
Réactions variées
La publication de l’article a immédiatement suscité une tempête dans la presse généraliste et financière, et a fortiori sur les forums consacrés à Bitcoin et aux cryptomonnaies, avec des réactions pour le moins polarisées : salutations de plusieurs confrères pour la qualité de son travail d’investigation, critiques acerbes pour avoir ainsi identifié un homme désireux de rester discret – et sa famille – comme potentiel détenteur d’une fortune cachée de 500 millions de dollars. De quoi susciter la convoitise de bien des malfrats, étant donné la vulnérabilité apparente de Dorian Nakamoto.
Course-poursuite
En un temps record, une foule journalistes s’est amassée devant la maison du présumé créateur de Bitcoin, dans la banlieue de Los Angeles. Ce dernier a fini par accepter d’accorder une interview à un seul d’entre eux – Ryan Nakashima, américano-japonais comme lui, de l’Associated Press – en l’échange d’un plateau de sushis. Après une course-poursuite rocambolesque entre son véhicule et des journalistes éconduits, Dorian Nakamoto accorda une interview de deux heures à l’AP, démentant formellement être à l’origine de la monnaie virtuelle et affirmant qu’il ignorait encore tout de Bitcoin trois semaines plus tôt. (1) Selon l’ex-ingénieur, dont la maîtrise de l’anglais ne semble pas exempte de lacunes – contrairement à Satoshi Nakamoto -, les citations qui lui sont attribuées dans l’article ont été déformées et sorties de leur contexte. Ses déclarations concerneraient ses travaux d’ingénieur, et non la genèse de Bitcoin. Goodman, de son côté, maintient que les propos de Dorian Nakamoto n’avaient rien d’ambigu.
Doutes et démentis
Comme on pouvait s’y attendre, la communauté des Bitcoiners a réagi avec force. Sur Reddit, des détectives du web ont déniché des messages et des critiques Amazon signés Dorian S. Nakamoto, dont l’orthographe et la syntaxe pour le moins déficientes tranchent avec le style impeccable du créateur de Bitcoin, mis en évidence par le white paper du projet et ses centaines de messages sur le forum Bitcoin.
Gavin Andresen, le directeur de la Fondation Bitcoin, déplore les choix éditoriaux de Newsweek et regrette publiquement d’avoir accordé une interview à Goodman. Jeff Garzik, l’un des plus éminents membres du groupe de développeurs de Bitcoin, souligne que « nous n’avons à cette heure aucune preuve concluante que la personne identifiée soit le créateur de Bitcoin ». Mais le démenti le plus intriguant provient d’un compte présumé appartenir au « vrai » Satoshi Nakamoto et utilisé en 2009 pour annoncer le projet Bitcoin sur le site Ning de la P2PFoundation. Après 5 ans de silence, le titulaire du compte a posté dans la nuit cette déclaration lapidaire : « Je ne suis pas Dorian Nakamoto ».
Des points à éclaircir
Si les démentis de Dorian et de Satoshi Nakamoto ne suffisent en rien à démonter la thèse de Goodman (on connaît la difficulté de prouver un fait négatif), la prudence et la circonspection s’imposent. La journaliste semble avoir omis plusieurs faits saillants, et ne semble pas troublée par les profondes incohérences dont ferait preuve Dorian Nakamoto si son hypothèse s’avérait juste. Soulignons par exemple que le nom « Satoshi Nakamoto » est l’équivalent japonais d’un « Jacques Durant » ou « Jean Dupont ». Si l’existence d’informaticiens baptisés Satoshi Nakamoto n’a rien d’étonnant, difficile d’imaginer que le créateur de Bitcoin, qui a toujours fait preuve de la plus grande prudence – masquant systématiquement l’origine de sa connexion, chiffrant et signant cryptographiquement toutes ses communications privées, dissimulant son identité même à ses plus proches collaborateurs – ait pu signer son œuvre de son véritable patronyme. De plus, rien dans la biographie de Dorian Nakamoto n’indique une expertise en cryptographie ou dans d’autres domaines indispensables à l’élaboration d’un système si complexe. Et on imagine mal l’ex-ingénieur confirmer « tacitement » sa paternité à une journaliste inquisitrice pour devoir ensuite offrir un démenti devant la planète entière. Sans prêter à Leah McGrath Goodman la moindre intention déloyale, il convient de prendre ses conclusions avec d’infinies précautions.
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Source :
Interview accordée à AP
Dénégation de Dorian Nakamoto
Message de « Satoshi Nakamoto »
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