Quelle est la différence entre IBM et Jurassic Park ? Le premier est un dinosaure, le second un film de Spielberg. Cette mauvaise blague ne fait plus grincer des dents chez IBM. Au contraire. Big Blue revendique fièrement son statut de pachyderme de l’informatique. Celui qui était donné pour peu agile, alourdi par les grands systèmes et handicapé par des plates-formes concurrentes, ressort pimpant d’une année 2001 marquée par la crise.Licenciements en nombre, produits qui s’empilent sur les étagères, avertissements sur résultats, les mauvaises nouvelles se sont multipliées chez les concurrents… mais pas chez IBM. Le constructeur a présenté un chiffre d’affaires annuel de près de 86 milliards de dollars pour un bénéfice net opérationnel de 7,8 milliards.Car Goliath a réussi à retourner son embonpoint à son avantage. Oui, IBM est un véritable Sicob. Omniprésent ?” des mémoires aux grands systèmes ?” il possède un catalogue avec lequel personne ne peut rivaliser. Une envergure qui lui permet de toucher un tribut quelle que soit la technologie en vogue. Certes il ne réalise pas des croissances astronomiques ?” son chiffre d’affaires a tout juste progressé de 10 % depuis 1997.Mais ses revenus récurrents dans l’infogérance lui assurent une stabilité enviable en cas de revirement du marché. Mieux, ils lui permettent de continuer à investir en recherche et développement quand d’autres doivent se serrer la ceinture. Un atout inestimable en matière de hautes technologies.
Un modèle économique original, mais gagnant
Les concurrents, cantonnés à tel ou tel segment, en ont fait la dure expérience l’année dernière. Alors que l’on attendait IBM sur les services, il se paye le luxe de prendre des parts de marché aux stars du moment : EMC dans le stockage, BEA sur les serveurs d’applications, Oracle sur les bases de données, Sun et HP sur les serveurs.Ceux qui considèrent IBM comme une SSII devront revoir leur copie. “Les déboires de nos concurrents ont confirmé les avantages de notre modèle économique, se félicite Françoise Gri, PDG d’IBM France. Ceux qui sont positionnés sur une niche peuvent afficher une croissance faramineuse à un instant t. Mais cela ne dure qu’un temps. Notre modèle consiste plutôt à capitaliser sur la diversité de notre offre pour compenser les difficultés d’un segment de marché”.Pourtant, pour réussir une telle alchimie, l’omniprésence et l’envergure ne suffisent pas. Dans une industrie où les leaders naissent aussi vite qu’ils disparaissent, il faut surtout être au bon endroit au bon moment. Depuis trois ans, IBM opère donc une véritable révolution culturelle pour se placer aux carrefours technologiques.Alors que l’essentiel de sa stratégie consistait à pousser ses plates-formes propriétaires (S/390, AS/’00, AIX, etc.), il s’est lancé à corps perdu dans les standards, les systèmes ouverts et le logiciel libre. Java, Apache, XML et Linux sont autant de technologies sur lesquelles Big Blue a investi comme personne.” L’objectif n’est en aucun cas de s’approprier XLM ou Java, insiste Massimo Pezzini, analyste au Gartner Group. IBM joue en réalité sur deux tableaux : d’un côté, il cherche à devenir une sorte de prescripteur de l’industrie. De l’autre, il peut capitaliser sur sa base installée, et jouer la synergie entre les divisions pour vendre des services et du matériel. “L’actuel succès de la division logiciels est d’ailleurs lié à cette stratégie. Dès la fin 2000, IBM décide d’abandonner définitivement les applications métier pour ne plus proposer que des briques technologiques : bases de données, logiciels de connectivité (middleware), intégration d’applications et services web. Comme il n’est plus concurrent des éditeurs, Big Blue n’a aucun mal à convaincre les stars montantes comme Ariba, I2, SAP ou Siebel d’utiliser ses outils pour développer leurs applications. D’autant qu’en échange, ils gagnent un accès privilégié à sa base installée.
Miser sur les alliances pour asseoir sa base installée
Les résultats ne se font pas attendre. Grâce à ces partenariats, le constructeur a rapidement pu imposer Global Services comme le premier intégrateur de solutions e-business. Evidemment, ses outils en profitent. Son SGBD DB2 remplace celui d’Oracle dans les progiciels Siebel et SAP. Le serveur d’applications Websphere a bénéficié de cette même stratégie. Parti de rien, il talonne aujourd’hui le leader BEA et réalise une croissance supérieure.IBM a aussi beaucoup investi techniquement pour bonifier ses produits. Comme Global Services, la division logiciels fait le pari de la neutralité. Les applications sont déclinées sur tous les environnements, même ceux des concurrents (Solaris, HP-UX, etc.). Une façon d’assurer que, quel que soit le matériel, IBM ou non, les logiciels maison séduiront d’abord par leurs qualités intrinsèques.A l’inverse, quand il s’appelle Linux, le logiciel peut aider à vendre du matériel. ” En investissant plus de un milliard de dollars dans Linux l’année dernière, IBM n’a pas cherché, là non plus, à se l’approprier, explique Karen Benson, analyste au Gartner Group. C’est une arme qu’il utilise de deux manières : pour consolider les serveurs et pour attirer des développeurs vers ses machines. “L’Unix libre est devenu le plus petit dénominateur commun de l’offre serveur d’IBM. Toutes les machines, de l’AS/’00 aux grands systèmes, peuvent l’utiliser. Or un grand système sous Linux s’avère moins encombrant et moins cher à exploiter qu’une ferme de serveurs. Un argument qui fait mouche dès qu’il s’agit de consolider des machines.Des grands systèmes Linux ont ainsi remplacé des serveurs Unix Sun, HP… mais aussi IBM. Big Blue utilise donc Linux pour gommer les différences d’architecture entre ses serveurs, et ne mettre en avant que leurs qualités intrinsèques : disponibilité, performance, prix. Linux est enfin une arme contre Microsoft et Sun, deux anti-Linux notoires. Car s’il décolle, IBM est le mieux placé pour en bénéficier que ce soit du côté logiciel, matériel que du service.
Investir encore et toujours dans la technologie
IBM doit enfin son succès actuel à son avance technologique. “Que les années soient fastes ou non, nous maintenons nos investissements ?” plus de six milliards de dollars en 2001 ?” dans la technologie. Cela nous permet de respecter nos carnets de route et de proposer de meilleurs produits”, assure Nicolas Sekkaki, nouveau vice-président des serveurs et du stockage en France.L’architecture eliza qui permet l’autodiagnostic des serveurs ; le Power’, premier processeur multiprocesseur et Summit, le jeu de composants ultraperformant, sont autant de nouveautés qui se sont succédé l’an dernier. “Les serveurs IBM ont douze bons mois d’avance”, affirme Karen Benson. Une fois n’est pas coutume, c’est désormais IBM qui force ses concurrents à baisser les prix : EMC sur le stockage, Compaq et HP sur les serveurs.Tout ceci, ajouté à la synergie des divisions, a permis à Big Blue de traverser les tempêtes sans gros dommages. Reste un paradoxe, ce n’est qu’en temps de crise, quand les champions de la croissance s’effondrent, que la performance d’IBM se remarque. La société devra dorénavant prouver qu’elle peut réitérer l’exploit en période faste.
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