Le directeur financier de Worldcom, numéro 2 des télécoms aux États-Unis, a dissimulé 3,8 milliards de dollars de pertes à son conseil d’administration et aux auditeurs. Leçons d’un dérapage non contrôlé.Qu’est-ce qui a dérapé chez Worldcom ?Je n’assistais pas aux séances du conseil d’administration de Worldcom, mais il serait intéressant de comparer leurs pratiques à celles du groupe énergétique Enron, qui a explosé quelques mois plus tôt. Chez ces derniers, on s’est aperçu que les administrateurs avaient par deux fois décidé d’éliminer le code de conduite éthique de l’entreprise. C’était un drapeau rouge, un signe annonciateur des futures difficultés. Chez Worldcom, aujourd’hui, on ne sait pas s’il y a eu ce genre d’avertissement. Malgré tout, certaines choses font sourciller. Dans les 500 plus grandes sociétés américaines, les responsables se retrouvent en moyenne huit fois par an. Mais lorsqu’on regarde le compte rendu des séances de Worldcom, on s’aperçoit que les membres du conseil d’administration se sont réunis seulement quatre fois l’an dernier. À cette époque, pourtant, Worldcom n’allait pas bien, le titre descendait dangereusement en Bourse. Mais le sous-comité en charge des stock-options s’est réuni onze fois. Je vous laisse tirer vos propres conclusions.Pourquoi les administrateurs se voyaient-ils si peu ?Ils s’en remettent aux différents comités spécialisés, leur font confiance. C’est une erreur car, au final, chaque membre du conseil d’administration assume la responsabilité de ce qui se passe dans l’entreprise.Mais le comité d’audit n’a pas bronché ?Dans certaines entreprises, le directeur financier participe au comité d’audit. Chez Worldcom, ce n’était pas le cas. Mais quel était le degré d’autonomie de ce comité ?Y a-t-il un code de conduite à suivre pour éviter de tels dérapages ?Le New York Stock Exchange vient de sortir de nouvelles règles. L’une d’entre elles veut que le comité d’audit possède la responsabilité ultime d’engager et de renvoyer les auditeurs externes. Par le passé, c’était le directeur financier qui en était chargé ; il recommandait ses propres experts comptables. La réforme boursière propose de donner plus de poids aux auditeurs, ce qui établit une distance vis-à-vis de l’équipe de management et limite les dérives. Les auditeurs contrôlent vraiment. Autre bonne idée à appliquer, celle de la rencontre en solo des auditeurs et du comité d’audit. Quand le management n’est pas là, les remarques des auditeurs sont plus intéressantes et indépendantes.Mais si le comité d’audit ne réagit pas…Cela était le cas avec Enron. Le système de la société était si complexe que le comité d’audit ne comprenait pas tout. Là encore, nous avons de nouvelles propositions de la Bourse de New York. Auparavant, on demandait simplement au président du comité d’avoir une certaine connaissance financière. Maintenant, il doit être comptable et avoir une expérience de la gestion financière.Que dites-vous des incitations financières, comme les stocks-options, votées par les conseils d’administration ?Au départ, c’était une bonne idée. Il s’agissait d’aligner l’intérêt des gestionnaires sur ceux des actionnaires. Mais la pratique est devenue excessive et a encouragé des comportements aux antipodes des intérêts des investisseurs. À la fin des années 1990, surtout dans les entreprises high-tech, les stocks-options sont devenues une véritable monnaie d’échange, en lieu et place du liquide. On a alors pu voir de jeunes patrons trentenaires gagner beaucoup plus que les classiques PDG. Il faut être plus prudent.Chez Worldcom, on a aussi vu le conseil d’administration approuver plus de 300 millions de dollars (308 millions d’euros) de prêts personnels destinés à l’ancien PDG du groupe, Bernard Ebbers…Le conseil d’administration du groupe avait trouvé une justification pour cela : “Si nous ne garantissons pas ces prêts, le PDG sera obligé de vendre ses titres Worldcom et cela produira un effet désastreux sur l’action.” C’est plutôt original. Un prêt de cette ampleur est tout à fait irréel. Avant que cette histoire ne sorte, les prêts les plus importants octroyés aux PDG se situaient aux alentours de 15 millions de dollars.* à New York
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