Le Nouvel Hebdo :
Le monde hésite entre récession et reprise. Quel est votre diagnostic à ce sujet ?
Bernard Charlès :
La pression est très forte sur les budgets informatiques. C’est vrai en Europe, comme aux États-Unis. Pour l’industrie du logiciel, les choses se présentent de façon un peu particulière : on n’est pas dans un processus d’entretien des infrastructures, mais de développement des projets. Il y a découplage entre les dépenses informatiques classiques, qui restent à un niveau très bas, et les investissements portant sur de gros logiciels, qui se maintiennent car ils supposent des décisions à long terme. Exemple : Volvo Trucks, la partie poids lourds du constructeur, est en pleine phase de réduction des coûts. Et pourtant, ils viennent de repasser des commandes de Catia [logiciel CAO de Dassault Systèmes, ndlr]! Dans les entreprises, la recherche et développement, ça ne s’arrête pas comme ça. Chez nous, c’est même fondamental. La R & D représente 34 % de notre chiffre d’affaires.Vous avez signé le 26 mars un accord avec Toyota… Oui, conjointement avec IBM. C’est un accord extrêmement important. Toyota va pouvoir simuler la fabrication de toutes ses pièces automobiles avec nos logiciels, mais surtout simuler l’évolution dans le temps de tous les composants qu’il utilise : leur usure, leur interaction… bref, toute la durée de vie des éléments sera prise en compte et anticipée. C’est une petite révolution, comparable à la décision de Boeing, en 1990, de simuler la fabrication de tous ses avions avec Catia. Il y avait, alors, pas moins de 3 millions de pièces à créer ! Et pourtant, tout a été fait sans recourir à un seul prototype physique. Il faut se souvenir qu’il y a 10 ans les constructeurs automobiles faisaient au moins quatre ” protos ” avant de lancer une voiture.Dans la simulation, il paraît difficile de concilier travail via internet et nécessaire confidentialité des projets. Comment résoudre cette contradiction ? Ce n’est pas une contradiction, c’est un vrai problème. En général, nos clients construisent un ” plateau virtuel “, qui fonctionne uniquement en intranet, mais ils peuvent aussi mettre en place un plateau élargi aux sous-traitants, accessible via Internet. Quand ils choisissent la seconde solution, ils se contentent de mettre des éléments qui, dans le pire des cas, pourraient être vus sans grand dommage par des personnes extérieures au projet. Quel est votre modèle de tarification ? Il est double. Soit le client choisit la location simple de logiciels, soit il choisit de passer par un coût d’achat initial fort, qui est complété tous les ans par l’acquittement d’un droit d’usage. Plus de 45 % de nos clients ont opté pour la seconde alternative. Je pense que notre modèle de tarification est l’une des raisons du succès.Vous pratiquez une politique active de croissance externe. Pourquoi ? Nous avons réalisé quatorze acquisitions dans les trois dernières années. C’était nécessaire car, si nous étions déjà très forts dans les logiciels 3D impliquant des calculs sophistiqués, nous étions moins présents dans la 3D simple, et moins encore dans la 3D ” de masse “. Nous nous sommes donc porté acquéreurs d’industriels proposant une offre complémentaire à la nôtre. C’était essentiellement des start-up ou des sociétés de taille moyenne. Mais nous n’avons jamais racheté de concurrents frontaux. Quelle est votre place dans le groupe Dassault ? C’est simple : nous représentons plus de la moitié de la valeur du groupe. On peut pratiquement dire que Dassault, c’est devenu Dassault Systèmes.Et les perspectives à court terme ? Je ne vous dirai rien de précis, car nous sommes en ” quiet period ” [formule désignant les jours qui précèdent la divulgation des résultats des sociétés cotées, ndlr]. Mais les fondamentaux sont toujours ceux que je vous ai indiqués en février : sauf événement extraordinaire, notre croissance s’accélérera logiquement au second semestre. Moins en raison de la reprise économique qu’à cause du lancement de nouveaux produits. Ces lancements se font à un rythme de plus en plus soutenu. Tout comme, d’ailleurs, l’acquisition de nouveaux clients : pour vous donner une idée, rien qu’en 2000 et 2001, nous avons gagné autant de clients… qu’entre 1981 et 1996 ! Quelles sont vos prochaines étapes ? Dassault Systèmes a pour ambition de devenir, pour l’ensemble du manufacturing industriel international, ce que Windows est devenu à la bureautique et l’informatique : un outil incontournable. À ce propos, je vous signale que nos logiciels tournent maintenant non seulement sous Windows, mais aussi sous Windows XP ! On a un peu la même démarche que Microsoft, mais à un autre niveau. Je m’entends très bien avec Steve Ballmer [le patron de Microsoft, ndlr]. Il a une approche très directe des enjeux industriels et commerciaux.
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