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Bernard Albigès (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) : ” L’informatique au chevet des patients nécessite de mutualiser les pratiques “

Bernard Albigès, DSI de l’AP-HP depuis trois ans, met en place l’organisation et les méthodes pour que cette institution, qui regroupe plus de quarante hôpitaux, ait enfin son système d’information, mutualisé et adapté à son activité.

L’AP-HP n’a pas un système d’information global et homogène. Le chantier est donc important. Quelles sont les grandes priorités ?Notre dernier plan 2001-2004 comporte trois objectifs prioritaires. D’abord, placer au c?”ur du système d’information des systèmes orientés vers les soins et les patients. Aujourd’hui, nous avons essentiellement des systèmes administratifs. Ensuite, moderniser et mutualiser les applications de gestion traditionnelles. Enfin, nous nous intéresserons à la communication hôpital-ville. Il faut, en effet, permettre à l’hôpital de communiquer avec les autres professionnels de santé. Et, pour cela, travailler notamment sur la sécurité. Mais notre plus grand défi est de tout mener de front !De quels moyens disposez-vous pour y arriver ?Nous ne connaissons pas encore nos futurs budgets. Mais ils approchent aujourd’hui 100 millions d’euros chaque année. 60 % servent à l’exploitation, et 40 % sont consacrés aux investissements. Le ratio entre ces dépenses informatiques et les dépenses globales de l’AP-HP (environ 4,6 milliards d’euros) tourne autour de 1,8 %. Cela n’a, bien sûr, rien à voir avec les ratios de l’industrie. Etablir une comparaison avec ceux-ci n’aurait pas de sens. En revanche, on peut le faire avec ceux des hôpitaux universitaires américains. Ces derniers bénéficient de ratios de 3 à 4 %, voire 8 % dans certains cas.Vous estimez donc cela insuffisant pour mettre à plat le système d’information et lancer une nouvelle organisation, par exemple ?L’hôpital est un univers où il est nécessaire de posséder un maximum d’informations sur chaque patient. Et cela représente une masse importante de données. D’autant qu’il s’agit d’imagerie, de résultats de laboratoire, etc. Un tel fonctionnement exige un véritable système d’information. Il est difficile d’y arriver avec un ratio de 1,8 %. On pourra faire des choses sérieuses en dépensant au moins le double, et plutôt même le triple.Les équipes informatiques sont aujourd’hui organisées par hôpital. Pensez-vous avoir les moyens humains suffisants de vos ambitions et, de plus, au bon endroit ?La population informatique de l’AP-HP est d’environ deux cent dix personnes à la direction des systèmes d’information (DSI) et du double dans les quarante hôpitaux. Environ cent trente prestataires complètent cet effectif. Notre problème provient moins de leur nombre que de la définition de leur statut. Les dénominations des métiers recensés ne correspondent pas aux fonctions effectives actuelles. En outre, pour mener à bien notre stratégie, il nous faut des équipes pluridisciplinaires et une organisation par projet. Ce n’est pas encore le cas.Quel est le rôle du DSI de l’AP-HP vis-à-vis de chacun des hôpitaux ?Les responsables informatiques d’établissements ne dépendent pas de moi, mais du directeur de leur hôpital. Mais, globalement, je dois faire en sorte que nos systèmes d’information soient de véritables systèmes mutualisables. Que l’on ne réinvente pas la roue dans chaque établissement, à chaque projet.

Quels obstacles organisationnels avez-vous rencontrés ?Tout pilotage informatique implique une connaissance des enjeux, des indicateurs de succès, de la constitution de l’équipe, de la démarche qualité… Or, dans le monde de la santé, le mode projet n’est pas naturel. Si, dans l’industrie, les notions de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’?”uvre sont désormais transparentes parce que totalement naturelles, avec notamment une prise de conscience du rôle des directions fonctionnelles, c’est très peu le cas à l’hôpital. Il n’appartient évidemment pas à la DSI de dire comment fonctionne tel ou tel service.Est-ce pour pallier ces manques que vous avez rapidement mis en place une structure de pilotage à trois niveaux ?Effectivement. Le premier niveau de cette structure est un comité stratégique des systèmes d’information. Il réunit notamment des membres du comité de direction de l’AP et n’est rien moins que le gardien de ses grandes priorités et, donc, de la cohérence entre la stratégie de l’AP et la stratégie informatique. Il se réunit deux fois par an. Trois comités d’orientation des système d’information avec des responsables d’activités ont été constitués autour de trois domaines essentiels : le patient, la gestion du personnel ?” paye, formation, etc. ?” et la gestion hospitalière ?” financement et logistique. Enfin, nous avons un comité de pilotage pour chaque projet du système d’information.Cela implique-t-il des changements dans votre façon de considérer le fonctionnement de l’hôpital ?Puisque nous nous dirigeons vers un système d’information orienté soins, la notion de continuité est indispensable. Et nous devons nous positionner dans une logique de processus. Par exemple, la prescription du médecin, le passage chez le pharmacien, la liaison vers les approvisionnements, l’administration des médicaments, etc. C’est cet enchaînement que nous allons gérer. Et, pour cela, il faut que nous fassions participer l’ensemble des intervenants et que les états d’esprit évoluent.

Certains projets permettant d’homogénéiser le système d’information ont déjà démarré, pouvez-vous nous en parler ?Quand l’hôpital Cochin, par exemple, a souhaité refondre l’informatique de ses urgences, j’ai demandé à ce qu’un groupe de travail soit constitué avec d’autres services d’urgence. Cela a été fait, et les membres de ce groupe de travail ont réfléchi ensemble à leurs préoccupations. Le cahier des charges et l’appel d’offres ont été communs. C’était il y a un peu plus de deux ans. Aujourd’hui, une dizaine d’hôpitaux ont le même système d’information pour leurs urgences. La même démarche a été utilisée lors de l’ouverture du nouvel hôpital gériatrique Bretonneau. Il en est sorti un véritable projet de système d’information hospitalier de gérontologie, qui, petit à petit, sera mis en place dans les douze établissements concernés.Procéderez-vous toujours de cette façon, en démarrant des projets transversaux à plusieurs hôpitaux ?Il est indispensable que nous soyons pragmatiques et que la méthode porte ses fruits. Prenons l’exemple de la prescription d’activités de soins dans les établissements Henri-Mondor, Bichat, Saint-Louis et Cochin. Chacun d’eux est de la taille de certains CHU (centres hospitaliers universitaires) de province et compte entre trente et cinquante services. Eh bien, les quatre ont fait une démarche commune car ils ont compris que la mutualisation de leurs réflexions étaient indispensable.Cette mutualisation s’applique-t-elle aussi à l’infrastructure ?C’est indispensable. Nous disposons de près de trois cent cinquante applications cartographiées et de plus de sept cents serveurs ! Nous avons, par exemple, dû faire passer à l’euro une chaîne de cinquante applications installées sur… cinquante serveurs. Sans compter qu’il nous a fallu conserver une double comptabilité francs et euros pendant un an. Nous avons donc regroupé l’ensemble sur un serveur unique, accessible par tous les établissements. Là encore, la mutualisation est à l’ordre du jour. Et nous avons même une fédération de regroupement de serveurs, qui rassemble en un même lieu et en nombre plus réduit les serveurs de plusieurs établissements, eux-mêmes tous volontaires.En conclusion, êtes-vous plutôt optimiste ?Dans le domaine de la santé, il nous est impossible de juger de nos travaux en termes de retour sur investissement. Voire, dans la situation actuelle de saturation des services d’urgence, par exemple, d’espérer isoler les bénéfices des nouveaux systèmes d’information. Mais l’aspect positif de notre nouvelle organisation, c’est que nous recevons maintenant tellement de demandes à la DSI qu’il nous faut définir des priorités. Toutefois, si l’AP-HP obtient les fonds nécessaires, elle saura quels projets choisir.

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Emmanuelle Delsol