Comme prévu, Facebook a donné aujourd’hui les détails techniques et organisationnels de Libra, une nouvelle cryptomonnaie qui sera opérationnelle à partir en 2020 et qui vise à devenir « une devise et une infrastructure financière mondiales » au service de « milliards de personnes ». Mais comment cet énième héritier du Bitcoin pourrait-il réussir là où tous les autres ont échoué ? Quel est le secret technologique sur lequel Facebook compte bâtir ce nouvel empire ? Réponse : il n’y en a pas. « Libra se présente comme un melting pot de technologies qui existaient déjà dans différentes cryptomonnaies. Et il faudra du recul pour voir si cet assemblage marche vraiment bien », nous explique Renaud Lifchitz, expert en sécurité informatique.
Cent fois plus rapide que le Bitcoin
Sur le papier en tout cas, les caractéristiques de ce mélange parfait sont prometteuses, à commencer par la performance. Comme avec le Bitcoin, les transactions Libra sont inscrites dans un registre distribué de type « blockchain ». Toutefois, ces transactions ne sont pas validées par une preuve de calcul, mais par un vote à la majorité entre nœuds de validation. « Ce principe est également utilisé par Ripple et Stellar. L’avantage, c’est que le consensus est obtenu de manière beaucoup plus rapide et que la montée en charge est beaucoup plus facile », souligne Renaud Lifchitz.
Alors qu’avec Bitcoin et Ethereum, on plafonne actuellement à 10 ou 15 transactions par seconde, il suffit que les nœuds de validation soient interconnectés par une liaison 40 Mbit/s pour dépasser les 1000 transactions à la seconde. Au passage, cette façon de faire supprime la nécessité d’accumuler de la puissance de calcul dans d’énormes datacenters. La Libra sera donc nettement moins énergivore, qui est l’un des gros défauts du Bitcoin.
Pour valider il faut montrer patte blanche
Les preuves de calcul dans les cryptomonnaies ont toutefois une grande utilité. Leur difficulté est ajustée de telle manière à ce qu’un acteur malintentionné ne puisse jamais prendre le contrôle du réseau et, ainsi, falsifier les transactions. La puissance de calcul nécessaire serait trop importante. Dans le cas de Libra, on élimine le risque d’une prise de contrôle malveillante par le fait que les nœuds de validation appartiennent à des acteurs authentifiés et dignes de confiance. D’une certaine manière, on remplace le « proof of work » par un « proof of authority » : pour participer à la validation, il faut avoir la permission. « Ce type de fonctionnement a également été retenu par des cryptomonnaies telles qu’Iota ou EOS. Si le réseau de validation était totalement ouvert, il suffirait qu’un acteur crée plein de nœuds de validation dans le cloud, et le tour serait joué », précise Renaud Lifchitz. Toutefois, quand Libra aura atteint une taille suffisante pour parer ce genre de risque, il est prévu de migrer vers un réseau de validation totalement ouvert, sans permission.
Facebook a également doté Libra d’un langage de programmation baptisé Move, qui ouvre la porte aux « smart contracts ». Cette idée n’est pas nouvelle et existe déjà chez Ethereum. Il s’agit d’applications qui s’exécutent sur la blockchain et qui déclenchent des transactions en fonction de certaines conditions. Un tel programme peut, par exemple, spécifier l’envoi d’une certaine somme à une certaine date. « Les smart contracts de Libra, toutefois, ne sont pas forcément liées à des transactions monétaires. Ils peuvent être plus génériques. Par ailleurs, Move a les caractéristiques d’un langage formel dans la mesure où il permettra de prouver mathématiquement certaines propriétés transactionnelles. Ce qui augmente donc le niveau de sécurité du système », explique Renaud Lifchitz. Mais là encore, ce n’est pas vraiment nouveau. La cryptomonnaie Tezos dispose, elle aussi, d’un langage formel.
Aucun mécanisme d’anonymat particulier
Une autre idée que Facebook a copiée sur Ethereum est le mécanisme de calcul des frais de transactions, également appelé « prix du gaz ». Son calcul s’appuie sur la complexité de la transaction et varie en fonction de l’offre et de la demande. Ce qui a pour effet de favoriser l’usage de la blockchain à des moments où elle est peu utilisée et, surtout, d’éviter qu’un acteur engorge le système avec des transactions bidon.
Sur le plan de l’anonymat, Libra ne fait pas mieux que le Bitcoin. Le protocole n’intègre aucun mécanisme de protection quant à l’origine ou la destination des transactions, comme on peut en trouver dans Monero ou Zcash. Au contraire, Facebook souligne que le fonctionnement de Libra se fait sur la base du « pseudonymat » et qu’il sera possible de « réaliser des analyses afin de détecter tout activité frauduleuse ou illégale ». Autrement dit, Libra respectera les lois relatives à la transparence financière dans les différents pays et se soumettra aux demandes des forces de l’ordre. D’ailleurs, l’ouverture d’un portefeuille Calibra ne pourra se faire qu’avec un document d’identité officiel. Bref, comme on pouvait s’y attendre, Libra n’est pas un projet crypto-anarchiste !
Une réserve pour la stabilité
Là où Libra se différencie le plus par rapport aux autres cryptomonnaies, c’est par la constitution d’une réserve d’actifs, censée apporter une stabilité à la nouvelle devise. Totalement déconnectées de l’économie réelle, les cryptomonnaies ont le désavantage d’être souvent très volatiles, en particulier le Bitcoin. Ce qui décourage commerçants et consommateurs. Afin d’apporter une valeur intrinsèque à la nouvelle devise, la réserve Libra est constituée « de dépôts bancaires et de titres gouvernementaux » qui devraient augmenter de façon proportionnelle à la masse monétaire.
Cette réserve sera gérée par l’association Libra, actuellement constituée de 28 membres fondateurs. Pour y rentrer, chacun d’entre eux a dû investir au minimum 10 millions de dollars. Cette somme donne droit à un « Libra Investment Token », un jeton spécial qui représente « une part des futurs intérêts accumulés par la réserve Libra ». « Mais on peut se demander si cette association œuvrera réellement de manière transparente. Comment être certain que la réserve ne sera pas sous-alimentée et que Facebook et ses partenaires ne vont pas actionner la planche à billets ? », s’interroge Renaud Lifchitz.
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