Le 18 décembre 2001, Jean-Marie Messier a mis son réveil à sonner au milieu de la nuit. À Los Angeles, le PDG de Vivendi Universal s’apprête à présenter au personnel d’Universal Studios les différents termes de l’accord avec le réseau câblé USA Networks et son patron Barry Diller. Les mesures avaient été annoncées la veille à New York. Mais avant cela, le patron du deuxième groupe mondial de communication (derrière AOL Time Warner) se pliera de bonne grâce et au petit jour au rituel du conference call avec un groupe d’analystes londoniens. Il sait que son “rêve américain” ne pourra prendre forme que s’il est compris et soutenu par les investisseurs institutionnels qui contrôlent la majorité de son capital, et dont les analystes sont l’un des canaux d’informations privilégiés.
Une armée de prêcheurs
Bienvenue aux États-Unis, Monsieur Messier. ” Il a toujours consacré du temps aux analystes, mais c’est devenu un effort permanent”, reconnaît-on au siège new-yorkais de Vivendi Universal. C’est le prix à payer pour jouer dans la cour des grands de Wall Street :“Il n’y a qu’un montant limité de capital disponible et énormément de concurrence pour l’obtenir. Ceux qui gagnent sont ceux qui gèrent au mieux leur communication financière”, résume Louis Thompson, le président du National Investor Relations Institute de Washington.À ce jeu, les grands noms de la cote américaine sont imbattables, et appliquent volontiers la méthode du rouleau compresseur, explique Glenn Whitney, un ancien journaliste du Wall Street Journal, qui dirige aujourd’hui ECD Insight, une société de conseil en communication basée à Londres. ” Nous avons deux clients dans les services financiers : un Américain et un Européen. La société d’outre-Atlantique a un service de communication très efficace d’environ 35 personnes dans le monde entier. Le groupe européen n’en a qu’une dizaine, bien que son chiffre d’affaires soit deux fois plus important. “Ces 35 personnes sont affectées à plein temps à une unique mission : prêcher la bonne parole auprès des journalistes. S’adresser aux analystes est une chose, mais “bon nombre d’entreprises européennes n’ont pas encore compris que travailler avec les médias est l’une des manières les plus efficaces de communiquer avec leurs actionnaires”, poursuit Glenn Whitney. “Les grands groupes américains considèrent les médias comme une sorte de client. C’est la raison pour laquelle ces grands groupes investissent pour apprendre à les connaître et à répondre à leurs besoins.”Communiquer mieux et plus souvent se reflète toujours positivement dans le cours de l’action d’une entreprise, bien que cette relation de cause à effet soit difficile à quantifier, souligne Russell Lundholm, professeur à la Business School de l’université du Michigan. “Si vous multipliez les contacts et les propos optimistes, par exemple pour préparer l’émission de nouveaux titres, vous pouvez faire grimper la valeur de votre action. Le cours chute au moment de la mise sur le marché des nouveaux titres, mais sans retomber à son niveau initial. Cette baisse est même négligeable pour ceux qui pratiquent un effort soutenu de communication, avant, pendant et après.”
Tous égaux… ou presque
De toute façon, la transparence devient de plus en plus une obligation à mesure que la très rigoureuse SEC (Securities & Exchange Commission, l’équivalent de la commission des opérations de Bourse française), resserre l’étau de sa réglementation. La Regulation FD (pour Full Disclosure, autrement dit la transparence totale) impose, depuis cette année, de mettre à la disposition de tous les actionnaires les mêmes informations au même moment. Il n’est plus question de glisser une confidence susceptible d’influencer le cours de l’action à tel ou tel investisseur, journaliste ou analyste, sous peine de contrevenir à la loi.Pour autant, la communication financière à la mode américaine n’est pas un simple modèle de vertu. Souvent, les recommandations des analystes financiers sont utilisées pour “marchander” des mandats très lucratifs de banques d’affaires, souligne le professeur Russell Lundholm. “Remarquez combien leurs recommandations sont réévaluées à la baisse dès que s’achève la période légale de conservations des titres de 30 ou 60 jours, pour refléter beaucoup mieux la réalité.”Et si la confidentialité de certaines négociations est supposée être hermétiquement protégée par les avocats, les banquiers ou les règles de la SEC, une OPA, une fusion ou un rachat d’envergure n’intervient presque jamais sans avoir auparavant massivement ” fuité” dans la presse. “Qui organise la fuite ? Demandez aux banques d’affaires”, enrage Louis Thomson. “Elles veulent que le monde entier sache qu’elles ont été consultées sur telle ou telle opération.” La solution ? “Faire respecter les règles”, propose simplement le président du National Institute of Investors Relations. Mais quand tant d’intérêts financiers sont en jeu, cest souvent une mission impossible.
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