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Audition de Boeing au Sénat : enfin la vérité sur ses avions ?

Pour la première fois depuis l’incident survenu à bord d’un avion Alaska Airlines au mois de janvier, le patron de Boeing Dave Calhoun s’est présenté en commission d’enquête du Sénat américain. Derrière une prise de responsabilité et des pensées pour les victimes des crashs de 737 Max, il a déçu par ses « réponses évasives ».

Après la célèbre audition sur l’affaire GameStop, en février 2021, ou celle de TikTok en mars 2023, voilà que les sénateurs américains ont accueilli une autre affaire de taille, qui s’est transformée en véritable saga. Boeing, et la sécurité de ses avions furent l’objet d’une commission d’enquête dont l’audition s’est déroulée mardi 18 juin, 14 heures à Washington.

Malgré l’incident du vol Alaska Airlines, en janvier dernier, dans lequel un Boeing 737 perdait une porte de secours au moment du décollage, le patron de Boeing Dave Calhoun n’avait pas encore fait d’apparition publique. Une occasion importante pour les élus, d’interroger celui qui fut appelé à la rescousse par Boeing en 2020.

C’est ainsi qu’à Washington, derrière les portes du Sénat, Dave Calhoun a fait face à ce pour quoi il avait été appelé quatre ans auparavant. Sa présence à la tête de Boeing a en effet été votée à la suite des crashs des 737 Max 8 en octobre 2018 et mars 2019. Assis derrière lui lors de l’audition, des proches des victimes brandissaient des photos des défunts.

« Je m’excuse pour le chagrin que nous avons causé, et je veux que vous sachiez que nous sommes totalement mobilisés, en leur mémoire, à travailler et à nous concentrer sur la sécurité aussi longtemps. […] Encore une fois, je suis désolé », déclarait-il. Des mots réfutés par les familles, « ni émues ni impressionnées », les décrivait le New York Times.

« Boeing est responsable »

En guise de réponses aux questions des sénateurs, Dave Calhoun a fait le choix de la responsabilité, dans un premier temps. Mais une responsabilité limitée et cantonnée aux crashs des 737 Max 8 entre 2018 et 2019. « J’accepte que le MCAS et Boeing soient responsables de ces accidents », indiquait Dave Calhoun.

Dave Calhoun Boeing Pdg
© Boeing

Le problème du 737 Max

Le MCAS, ou « Maneuvering Characteristics Augmentation System », n’est autre que le système impliqué dans les accidents mortels des 737 Max. Avec cet outil à la fois matériel et logiciel, le nouvel avion de Boeing devait pouvoir éviter les décrochages en pilotage manuel. Il s’avèrera au final plus dangereux que sécuritaire.

Derrière les défauts du composant, le régulateur (la Federal Aviation Administration) n’avait effectué aucun contrôle approfondi, comme il aurait dû le faire. Un manque dont il refuse de porter la responsabilité, en rejetant la faute sur Boeing qui aurait sous-estimé l’importance du MCAS pour éviter de plus amples vérifications et test de résistance.

L’oubli avait conduit plus tard le Congrès américain à voter pour une réforme du processus d’examen des aéronefs. Le programme 737 Max avait lui-même été suspendu de vol. En 2024, sa production est maintenant limitée à 38 appareils par mois.

Une responsabilité ciblée et limitée

En évoquant la responsabilité de Boeing dans les deux crashs qui ont conduit au décès de 346 passagers, Dave Calhoun n’a pas abordé plus en détail la responsabilité de l’avionneur dans des incidents plus récents. Le patron est ainsi arrivé à rester évasif sur la question des modèles actuels et des modèles futurs, comme le 777X.

Concernant le 737 Max 9 d’Alaska Airlines qui perdait une porte en janvier dernier, le patron de Boeing commentait : « c’est un défaut de fabrication, cela a créé un avion dangereux ». Pour rappel, selon une enquête de l’Agence américaine de sécurité des transports (NTSB), quatre boulons d’attache n’avaient pas été remis après une intervention, en amont de la livraison de l’appareil à la compagnie.

Boeing 737 Max Bourget
Un vol d’essai du Boeing 737 Max au salon du Bourget © Boeing

Pressions multiples

Des employés

Pour faire la lumière sur la situation en interne chez Boeing, plusieurs employés ont décidé de témoigner ces derniers mois. L’occasion de mettre en lumière la lourde pression en interne, que ce soit dans la course aux profits ou dans l’obligation de garder le silence.

Le sénateur démocrate du Connecticut Richard Blumenthal déclarait à David Calhoun qu’à la suite de la porte arrachée du vol Alaska Airline, la façade de l’entreprise s’effondrait. « Nous avons appris que ce gouffre était sans fond ». Il justifiait la nature des problèmes de Boeing par une « culture qui continue de donner la priorité aux bénéfices, de pousser les limites et d’ignorer ses employés ».

Quelques heures avant l’audition, un inspecteur d’assurance qualité du nom de Sam Mohawk décidait de prendre la parole. Il rejoignait ainsi un petit groupe de lanceurs d’alerte dans l’affaire de la sécurité des avions de Boeing, en affirmant que ses supérieurs lui mettaient la pression pour dissimuler des éléments problématiques, qui feraient office de preuves pour les enquêtes des régulateurs envers Boeing.

Sam Mohawk avançait ainsi que le nombre de rapports de non-conformité avait grimpé de 300 % par rapport à la période avant le programme 737 Max. Des propos qu’il faut avoir le courage d’avancer, alors que le sénateur Richard Blumenthal mentionnait « une culture qui permet des représailles ». En deux mois, entre mars et mai, deux lanceurs d’alerte ont perdu la vie. Le premier suite à un suicide, et le deuxième suite à une infection subite.

Des régulateurs

Depuis le mois de mai, la Federal Aviation Administration s’est penchée sur le plus perfectionné des Boeing du marché, le 787 Dreamliner. Une pression supplémentaire pour l’avionneur alors que certains employés évoquaient la présence de dossiers d’inspection falsifiés, sur un total de 450 aéronefs impliqués.

Pour sa défense, Boeing avait préféré rejeter la faute sur ses employés, qui auraient enfreint les politiques de l’entreprise en n’effectuant pas certains tests requis. Dave Calhoun citait la déclaration de Boeing sortie en amont : « Nous encourageons continuellement nos employés à signaler toutes leurs préoccupations, car notre priorité est d’assurer la sécurité de nos avions et des voyageurs. »

Des compagnies

Les compagnies n’ont pas manqué de rajouter de la pression. Les principaux clients de Boeing se sont très vite désolidarisés de l’entreprise américaine, avec en première ligne Emirates. La compagnie basée à Dubaï a passé commande de 65 Airbus A350, des long-courriers de nouvelle génération, en concurrence directe avec les 777 et 787 Dreamliner de Boeing.

« Ressaisissez-vous », avait déclaré le PDG d’Emirates à la suite des retards et des casseroles chez Boeing. Le patron de Lufthansa prenait la parole également, en qualifiant les retards de Boeing d’un cas « extrêmement ennuyeux qui nous coûte beaucoup d’argent ». Ryanair, la compagnie low-cost européenne qui opère le plus de 737 dans sa flotte, regrettait aussi de devoir composer avec 17 aéronefs manquants cet été 2024.

Sans accès au marché chinois à cause de la suspension des homologations des 737, 787 et 777X, Boeing est en pleine dépression du côté des ventes avec seulement 3 commandes nettes enregistrées au mois de mai dernier, pour 24 livraisons. Au total, l’avionneur a livré 131 avions et enregistré 142 commandes brutes cette année, contre 256 avions livrés par Airbus et 237 commandes nettes sur la même période. Cela dit, Boeing n’est pas à court de commandes avec un carnet bien rempli : 6 188 sont toujours en attente.

Du leadership d’Airbus

En face, Airbus se porte bien, très bien. L’avionneur européen connaît un succès fulgurant avec ses A220, des appareils encore plus économes qui arrivent aussi bien à concurrencer les vieillissants A319 que les plus récents A320neo. Airbus a trouvé, en rachetant un programme presque à 100 % développé par le Canadien Bombardier, une pépite que les compagnies européennes comme américaines s’arrachent.

En parallèle, le premier A321 XLR (Extra Long Range) est en passe de réaliser son premier vol commercial. À compter du 15 septembre, il sera en liaison quotidienne entre Madrid et Boston avec la compagnie Iberia. Après l’A321neo, c’est le deuxième monocouloir du marché à opérer des vols transatlantiques de ce niveau. Un moyen pour certaines compagnies de s’ouvrir à des destinations plus lointaines sans devoir commander des avions long-courriers chers et peu polyvalents.

Un mauvais Spirit

Pour rappeler sa responsabilité limitée, Dave Calhoun mentionnait le dossier Spirit lors de l’audition, et se défendait de ne pas être le seul fautif des défauts sur ses appareils. Spirit, en référence à la société Spirit AeroSystems, fournit les parties du fuselage des 737. Un moyen pour Boeing de se décharger d’un poids et sous-entendre aujourd’hui qu’un rachat de Spirit AeroSystems par l’avionneur serait un moyen de mieux superviser la qualité des pièces réceptionnées.

En tant que fournisseur de Boeing, Spirit AeroSystems est aussi l’entreprise où travaillait le lanceur d’alerte décédé à la suite d’une infection « soudaine et rapide ». Appartenant à Boeing avant 2005, elle est devenue aujourd’hui une entreprise centrale dans l’industrie aéronautique, y compris chez Airbus qui lui commande les ailes des A220 et des parties du fuselage de l’A350.

Spirit Aerosystems
© Spirit AeroSystems

En cherchant à obtenir un commentaire de Boeing sur le décès du lanceur d’alerte et salarié de Spirit, nos confrères de Gizmodo déclaraient que l’avionneur les avait directement renvoyés vers son fournisseur. Les faits, remontant au mois dernier, illustrent à quel point Boeing utilise actuellement Spirit AeroSystems comme fusible et se dégageait de toute responsabilité.

Réponses évasives, actions appropriées

Le sénateur du Connecticut Richard Blumenthal, qui présidait aussi l’audition, a révélé au New York Times qu’il avait trouvé les réponses de Dave Calhoun particulièrement évasives. Il ajoutait que le sous-comité du Sénat allait prendre des actions appropriées.

Il critiquait aussi l’envoi de documents de Boeing suite aux demandes du sous-comité en amont de l’audience. « Du charabia » critiquait-il, en brandissant un document de plusieurs pages sans aucun paragraphe ni toute autre forme de mise en page.

C’est après une question du membre du Parti des Républicains et sénateur du Missouri Josh Hawley que la tension fut à son comble. « Quand on regarde combien vous êtes payé [… ] s’il y a bien quelqu’un qui s’en sort bien dans tout cela, c’est vous » exposait-il au patron de Boeing, avant de lui demander pourquoi ne pas avoir décidé de démissionner.

« Je suis fier d’avoir pris ce poste. Je suis fier des gens chez Boeing. Je suis fier de toutes les actions que l’on a prises », lui répondait Dave Calhoun, alors que Josh Hawley tentait de le déstabiliser en lui rétorquant : « et fier des contrôles de sécurité falsifiés ? ». Son départ est déjà planifié depuis le 25 mars, et sera effectif à la fin de l’année, en plus d’un « remaniement profond ».

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