Les déclarations à tout le moins maladroites de Jean-Marie Messier, annonçant la mort de “l’exception culturelle à la française”, ont eu le mérite de relancer le débat sur un thème qui est au c?”ur de toute réflexion sur la mondialisation. Malheureusement, ce débat a été confisqué par les professionnels du cinéma, habiles à défendre vigoureusement leurs intérêts. Ils s’étaient trouvés au premier rang du combat pour l’exception culturelle, lors des négociations du GATT en 1993, lorsque les États-Unis prétendaient remettre en cause les systèmes européens de soutien à l’industrie cinématographique, à commencer par le plus volontariste, celui de la France.
Un attachement opportuniste
Dans l’ambiance électorale de cette année, les responsables politiques, et notamment les candidats à l’élection présidentielle, se sont empressés de proclamer leur attachement à l’exception culturelle. On ne peut que s’en réjouir, à ceci près que, dans le domaine du cinéma, l’exception culturelle ne coûte pratiquement pas un centime au budget de l’État : elle est, en effet, financée par vous et moi, sous la forme d’une taxe additionnelle au prix des places de cinéma ainsi que par les contributions obligatoires des chaînes de télévision à la production de films.L’exception culturelle “à la française” est cependant loin de se limiter au chapitre du cinéma, si important que soit ce dernier. Ce que cette expression à la mode recouvre, c’est une tradition multiséculaire ininterrompue depuis l’Ancien régime : celle du soutien public, et d’abord de l’État, aux ?”uvres de l’esprit sous toutes leurs formes. Avec André Malraux dès les débuts de la Ve République, c’est une politique culturelle ambitieuse qui a été mise en ?”uvre, et poursuivie sans interruption depuis lors, en dépit des alternances politiques, même si celles-ci ont engendré des variations sensibles dans le style, les priorités et l’intensité de l’effort budgétaire. Cette politique culturelle s’est appliquée à toutes les formes de la création et de la diffusion ainsi qu’au patrimoine ; avec la décentralisation, elle a de plus en plus été relayée et développée par les collectivités qui, globalement, consacrent désormais à la culture plus d’argent que l’État.
Marché, fonds publics et mécénat
Au demeurant, dans toute l’Europe, le financement de la culture relève, comme en France, de trois sources : le marché, les fonds publics et le mécénat. Certes, chez nos voisins du Vieux Continent, les fonds publics proviennent le plus souvent des échelons décentralisés, et l’action de l’État central y est plus modeste et moins voyante qu’en France, bien que l’on observe, en Allemagne, une tendance au renforcement du rôle culturel de l’État fédéral.Ce financement public est le c?”ur de l’exception culturelle, et la France a intérêt à le souligner si elle ne veut pas être isolée de ses partenaires par rapport à la pression des États-Unis qui, pour des raisons de stratégie commerciale, persistent à voir dans les biens et services culturels des “marchandises comme les autres”.Ce que l’on attend aujourd’hui des responsables politiques français, c’est un engagement à poursuivre cet effort public en faveur de la culture, parce qu’il est propre à régénérer le lien social et à contribuer au rayonnement de l’Hexagone. On attend d’eux aussi un statut juridique et fiscal plus incitatif pour le mécénat qui corrige les rigidités du soutien public et la brutalité du marché. Tout le reste est littérature électorale.(*) Auteur des “Deniers du rêve”, essai sur l’avenir des politiques culturelles paru aux Éditions Grasset.** président d’Admical, association pour la promotion du mécénat dentreprise (*)
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