Vous désirez quelques informations sur les vins de champagne? En allant sur www.champagne.fr, vous ne serez pas surpris de tomber sur le site du Comité interprofessionnel du vin de Champagne qui a toute légitimité pour vous renseigner. Mais qu’en sera-t-il en allant sur www.champagne.vin? Les professionnels du champagne pourraient bien devoir mettre la main au portefeuille afin de pouvoir garder le contrôle leur communication numérique.
Depuis quelques mois, la grogne monte dans le milieu viticole mais ne semble pas avoir été entendue. Le droit de gérer l’ensemble des sites avec pour suffixe .vin et .wine – et potentiellement d’en revendre chaque nom de domaine – devrait bien faire l’objet d’un appel à candidature, comme convenu initialement. Principale crainte ? La mise à l’écart de toute une partie de la filière et en premier lieu des AOC : aucun des acteurs du secteur européen des vins ou spiritueux n’est candidat à l’acquisition de ces domaines. Autrement dit, et en reprenant notre exemple : il est probable que les producteurs de champagne n’aient aucun accès privilégié concernant le contrôle d’une adresse telle que www.champagne.vin.
Après plusieurs recours des vignerons européens, l’ICANN (société de droit californien à but non lucratif ayant pour mission d’attribuer les noms de domaines) avait pourtant suspendu pendant deux mois la procédure d’attribution de ces suffixes. Mais finalement, cette dernière a confirmé jeudi dernier que ces recours resteraient sans suite, sans toutefois préciser les conséquences à en tirer concernant l’évolution des procédures en cours : pour la filière viticole, à quelques jours de la 50ème conférence de l’ICANN, c’est toujours le flou le plus total. Selon Pascal Bobillier-Monnot, directeur de la CNAOC (Confédération Nationale des producteurs de vins et eaux de vie de vin à Appellations d’Origine Contrôlées) : « on ne sait pas si le rejet des recours entraîne la reprise automatique de la procédure ou si nous devons attendre une décision formelle. L’ICANN ne répond a aucun de nos mails : à l’heure à laquelle nous parlons, nous ne savons absolument pas ou en est le statut du .vin. La situation est ubuesque ! ».
Une grande opacité et une forte contrainte financière
Principal reproche fait par les viticulteurs français : le manque d’information. La CNAOC n’a tout simplement pas eu le temps de se porter candidat : « il y a clairement eu un déficit d’information. Seuls les initiés étaient au courant de l’appel à candidature » regrette Pascal Bobillier-Monnot. « La responsabilité est certainement partagée entre l’ICANN, les professionnels du secteur et les pouvoirs publics, qui ont réagi beaucoup trop tard » tempère-t-il. Conséquence : le temps qu’un dossier puisse éventuellement se constituer, le délai de dépôt des dossiers était dépassé.
Ces lacunes sont confirmées par Stephane Van Gelder, membre du NomCom, un comité indépendant chargé de sélectionner une partie des membres de l’ICANN : « tout le monde n’a pas eu les mêmes chances d’obtenir ces extensions. Il y a une barrière à l’entrée au niveau de la connaissance du programme. C’est aussi à l’ICANN d’informer le public et les professionnels du vin n’ont pas vraiment pu défendre leur place ». L’autre barrière à l’entrée est financière. Une simple candidature coûte en effet 185 000 dollars (versés à l’ICANN), auxquels il faut ajouter les nombreux frais annexes. Cette somme est parfois difficile à réunir, surtout qu’elle pourrait bien n’être qu’une petite mise en bouche face au coût total de l’achat d’une extension : « si nous avions déposé le dossier, nous aurions été en concurrence avec d’autres sociétés qui auraient pu se revendiquer comme aussi légitimes que nous. Il y aurait eu de bonnes chances que l’extension .vin soit finalement attribuée par une vente aux enchères » regrette le directeur de la CNAOC. En effet, selon Stephane Van Gelder, « l’ICANN ne tient pas à obliger les candidats à être lié à une quelconque AOC ». Pour résumer la situation: l’ICANN ne voit pas de raison objective de privilégier une quelconque notion de terroir, ni même l’aspect historique de certains acteurs.
Stephane Van Gelder confirme par ailleurs une inégalité dans les moyens mis en œuvre : « sur ce dossier on fait face à des industriels de la gestion d’extensions comme l’entreprise américaine Donuts, qui se porte acquéreur pour ensuite vendre aux entreprises du secteur un service de protection de leur marque. Face à ce genre d’entreprises, l’industrie locale et les PME françaises vont avoir beaucoup de mal à lutter ». D’ailleurs, sur les quatre dossiers candidats pour l’attribution des .vin et .wine, aucun n’est lié à une entreprise du secteur viticole : acheter, revendre, ou gérer ces nouvelles extensions pourrait bien devenir un business très juteux.
.vin, le premier d’une longue série ?
Cette affaire peut sembler spécifique au marché du vin, et à ses nombreuses AOC. En réalité, c’est un problème bien plus profond qui est soulevé : qui décide de la légitimité des acquéreurs de ces nouveaux domaines ? L’ICANN, dont la gouvernance fait débat, a réalisé qu’en mettant sur le marché une infinité de suffixes, elle se retrouvait instantanément assise sur un trésor, en créant par ailleurs un nouveau besoin de toutes pièces. Si le processus de vente aux enchères devait se confirmer, la loi du plus offrant pourrait créer une distorsion importante entre légitimité réelle et virtuelle. Si le vin fait au moins réagir les pouvoirs publics français, les autres secteurs risquent bien de rester dans l’obscurité. Les candidatures sont ouvertes, mais les industries européennes sont-elles réellement en mesure de défendre leurs chances? A l’heure actuelle, ce nouvel internet s’émancipe à huis-clos.
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