Le monde des puces s’affole : le britannique ARM, qui est à la source des designs de toutes les puces pour smartphones, tablettes, mais aussi serveurs et autres objets connectés, serait en train de faire fabriquer une puce. Qui serait, de plus, « le plus gros effort de production de puce que l’entreprise installée à Cambridge n’a jamais fait », selon la presse. Ce qui est perçu par certains comme un mouvement « unique » de « changement », n’en est en fait pas un. Mais alors pas du tout.
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L’information a fuité par le Financial Times (FT) qui est britannique, comme ARM. Le fait d’avoir un puissant relai sur son territoire – le FT est l’un des journaux économiques les plus puissants de la planète – est un sacré avantage… pour faire passer des messages. Cette « fuite » n’en est donc pas une. C’est une opération de communication. Après l’échec du rachat par Nvidia, le propriétaire d’ARM (SoftBank) n’a toujours pas renoncé à son désir de le revendre afin de faire une jolie plus-value. ARM est ainsi en train de dire à ses clients qu’il est bien rentré en action face aux progrès de ses concurrents. Et pour ce faire, il est tout à fait logique qu’ARM développe de nouvelles plateformes. Et, de temps en temps, fasse produire des designs de référence.
ARM a déjà fait produire des puces
S’il est vrai qu’ARM ne fait pas produire des masses de puces et n’en vend aucune, l’entreprise a parfois besoin de montrer ses plateformes du futur à ses clients. Et doit, en interne, disposer de puces opérationnelles pour les tests « terrain » de ses architectures, pour les certifications logicielles (code assembleur, drivers de ses designs comme ceux des GPU Mali, etc.). On se rappelle ainsi avoir vu, en passant dans un showroom ARM, des puces « vanilla* » de son architecture Neoverse en 2020. Des processeurs ARM, dessinés et conçus par ARM et produits par TSMC (en 7 nm FinFET, le top du top à l’époque). Mais ARM a aussi fait appel à Samsung à plusieurs reprises par le passé. Il est bon de rappeler qu’il n’y a rien d’unique dans cette démarche de passage d’un plan à celui d’une puce finale. Ce qui peut cependant changer, c’est le nombre et la variété des puces produites.
Car le coût de conception des puces a explosé avec les nodes les plus avancés – on était déjà à quasiment un demi-milliard de dollars en 5 nm en comptant les frais logiciels, de conception, etc. Alors si ARM produit une puce de pointe en 2023, ce sera sans nul doute avec le node le plus avancé (3 nm ?), qui est logiquement encore plus cher. Mais si le britannique consent à produire une puce physique pour sa future architecture, c’est qu’il entend bien gonfler les muscles.
* : un terme dans les industries à la fois du matériel et du logiciel pour parler d’une version de base officielle, par opposition à des versions « moddées » ou « custom ».
ARM veut prouver la puissance de son architecture
Il y a deux raisons majeures pour lesquelles ARM fait produire sa puce. Comme convaincre ses partenaires que ses cœurs CPU sont bien les meilleurs – Apple et d’autres comme Qualcomm avec ses cœurs rachetés à Nuvia, développent leurs propres cœurs. ARM, est en train de faire évoluer son modèle économique avant une nouvelle introduction en bourse et doit encore plus que par le passé prouver que ses designs sont bons tels quels. Et c’est pour cela que le britannique aurait mis sur pied une plus grosse équipe de développement que d’habitude.
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Car outre la concurrence de design de ses partenaires, il doit aussi compter sur la montée en puissance de l’ISA concurrence RISC-V. Qui gagne peu à peu en maturité. Et avec cette maturité, du terrain : on voit déjà poindre les premiers articles détaillant le fonctionnement des puces pour serveurs ou dédiées à l’IA. Des domaines dans lesquels ARM, qui règne déjà sur la mobilité, veut bousculer x86 dans ce qui reste son dernier pré carré.
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Ici, l’article original du Financial Times ne répond pas à la question fondamentale : quel est le marché cible de cette fameuse puce ? Est-ce le marché volumique des smartphones/tablettes/PC pour lequel ARM aurait développé une architecture qui apporte un gain majeur à la manière dont Nuvia promet à Qualcomm un avantage significatif ? Ou ARM veut-il, comme nous le soulignons juste au-dessus, lancer une puce dont la puissance brute occulterait, pour la première fois, les puces Xeon et Epyc d’Intel et AMD dans le calcul intensif ?
ARM ne vendra (toujours) pas sa puce
Voilà bien une certitude : peu importe le marché cible, cette puce devrait rester une plateforme de démonstration et ne devrait jamais devenir un produit commercial. À moins de la recherche d’un suicide commercial et technologique, ARM ne devrait jamais commercialiser la moindre puce qu’elle développe. Spécialisée dans les plans des puces dont elle vend les détails sous la forme de licences et de royalties, ARM sert des centaines de clients et ne peut être considérée comme un concurrent – on l’appelle encore « la Suisse des semi-conducteurs ».
Le moindre changement de ce statu quo serait un séisme dans le monde des puces. Et vraisemblablement un catapultage de RISC-V qui serait alors la seule architecture vraiment indépendante. Si x86 est partagé entre Intel (concepteur originel) et AMD, ARM peut être utilisé par tout le monde. Des kings des microcontrôleurs comme ST ou TI, des concepteurs de puces réseaux et mobiles comme Broadcomm ou Marvell, aux champions des puces de smartphones que vous connaissez comme Qualcomm, MediaTek ou Apple. Jusqu’aux entreprises qui conçoivent des puces serveurs comme Ampere ou Fujitsu.
Impossible pour ARM de perdre ses clients qui représentent la totalité de son chiffre d’affaires ! Même à considérer que l’entreprise lancerait une puce unique, aucun des marchés cibles ne répondrait favorablement, de peur de se retrouver enfermé par un fournisseur tout-puissant. ARM est et reste un concepteur de plans de puces. Et il veut, encore plus que par le passé, prouver que son jeu d’instruction et ses architectures sont les meilleures. La question est de savoir lesquels de ses clients il souhaite convaincre avec cette mystérieuse puce. Si on en croit la feuille de route officielle, il pourrait s’agir de l’architecture Poseidon. Mais rien ne dit que le britannique n’a pas une carte spéciale dans sa manche…
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Source : Financial Times