En 2005, le petit monde qui gravitait autour d’Apple trépignait de voir Intel mettre un pied dans les Mac pour les remettre en selle dans une course que les PowerPC semblaient devoir leur faire perdre.
Certains s’inquiétaient qu’animés par des puces Intel, les Mac deviennent de simples PC, perdent leur âme. Quinze ans plus tard, on sait qu’un processeur n’a pas d’âme. D’autant que, quelques iPhone, iPad et puces ARM plus tard, Apple a bien changé et vient de donner son congé à Intel, avec un préavis de deux ans.
La fête est finie, les processeurs x86 ne tiennent plus assez leurs promesses, et surtout, au fil des itérations, de smartphones en tablettes, Apple a poussé plus loin encore son ambition de contrôler ses produits de bout en bout, de maîtriser l’intégration du matériel et du logiciel.
Au point qu’en une dizaine d’années, il a produit près de deux milliards de puces pour ces appareils, conçues par ses ingénieurs. Un chiffre colossal pour un acteur seul. Mais, de fait, ces puces, cette intégration sont devenues les éléments différenciateurs qui permettent à la société de Cupertino de tenir la concurrence à distance.
Intégrer des puces ARM dans ses Mac, c’est pour Apple la suite logique de cette aventure, mais c’est également répondre à de nombreux enjeux, à de nombreuses exigences. C’est assurer un futur plus indépendant et autonome. Mais, pour l’utilisateur, ce changement pose évidemment de nombreuses questions. En voici huit. Avec leurs réponses, définitives, partielles ou, espérées.
Les processeurs ARM seront-ils assez puissants ?
Lors de l’annonce du passage des processeurs Intel à ses propres puces, Apple a vanté la courbe de progression explosive des performances des SoC qui animent ses iPhone et ses iPad. Ses smartphones auraient vu les performances de leurs CPU multipliées par 100, tandis que les GPU des iPad voyaient les leurs multipliées par 1000 pour la même période.
Il en important de préciser que les Mac ARM abandonneront les processeurs Intel, mais que rien n’a été dit clairement des puces AMD (ou Nvidia) qu’on trouve sur les MacBook Pro 16 pouces, certains iMac ou encore le Mac Pro… Même si les parties GPU des SoC d’Apple sont très puissantes, peut-être le géant de Cupertino souhaitera-t-il conserver un partenariat sur ce point. On peut en douter, mais pas affirmer le contraire.
Au lancement des iPad Pro 2018, les équipes de Tim Cook mettaient en avant le fait que la tablette était plus rapide que 92% des PC portables du marché, voilà un premier élément de réponse.
Autre point sur lequel on peut d’ores et déjà répondre en se fiant à l’existant, les performances graphiques des SoC Apple sont tout bonnement exceptionnelles.
Une A12Z peut gérer jusqu’à trois flux 4K simultanément ou faire tourner des jeux aux effets dignes d’une console de jeux actuelle, ce qui n’est pas vraiment le cas des puces Intel présentes dans les gammes MacBook, notamment.
Le patron des ingénieurs qui conçoivent les puces Apple Silicon, Johny Srouji, a même glissé dans sa présentation que les Mac pourraient enfin (re)devenir des machines pour jouer… Cela paraît stupéfiant, car cela implique que les puces ARM d’Apple auront de quoi concurrencer celles d’AMD et Nvidia (à moins d’une cohabitation).
Voilà qui ouvre des horizons occultés depuis bien longtemps. N’oublions pas non plus qu’Apple a finalement prolongé son accord de licence avec Imagination Technologies, qui développe des approches très intéressantes du traitement du ray tracing avec des puces ARM. Un Mac gaming capable d’afficher des jeux avec du ray tracing comme les meilleurs PC ou les consoles de jeux de prochaine génération ? Et pourquoi pas ?
Mais les puces Apple seront-elles à même de satisfaire les besoins de machines plus exigeantes, comme les iMac Pro ou les Mac Pro ? Sur ce point, il faut voir au-delà d’Apple et se pencher sur un des points forts de l’architecture ARM, la scalabilité. Autrement dit, sa capacité à s’adapter à différents types de produits et de besoins.
Pour illustrer ce point, il suffit par exemple de rappeler que les puces Sx, qui animent les Watch, d’Apple, sont des puces ARM, tout comme le sont les processeurs qui donnent vie au nouveau super calculateur le plus puissant au monde.
De manière moins anecdotique, ARM, qui crée des spécifications de puces pour des besoins particuliers qui sont licenciées ensuite à ses partenaires, a mis au point des processeurs taillés pour pouvoir s’opposer aux Xeon d’Intel, notamment. Des Xeon qu’on retrouve dans les iMac Pro et Mac Pro à l’heure actuelle.
Donc, les processeurs ARM qu’Apple développera spécifiquement pour ses Mac, pourront être assez puissants, ils devront juste embarquer davantage de cœurs que les puces des iPad… et consommeront davantage.
Quoi qu’il en soit, lors de son annonce, Apple a insisté sur le fait que ses puces donneront au Mac « l’avantage au niveau de ce secteur industriel en terme de performance par watt ». Autrement dit, ces puces seront conçues pour fournir « les meilleurs performances pour la plus faible consommation ». Ce qui, par extension, signifie qu’en augmentant la consommation, on augmente la puissance significativement (même si l’équation n’est pas aussi simple dans les faits car elles impliquent d’autres éléments).
Il sera donc questions pour Apple de trouver un équilibre. Car si la consommation est importante dans un MacBook, elle l’est moins dans un Mac de bureau, qui reste branché à une prise en permanence et peut également plus facilement dissiper la chaleur produite.
Quoi qu’il en soit, certaines rumeurs évoquent pour les premiers portables Apple une puce à douze coeurs. Sur le même principe que pour les SoC des iPhone ou des iPad, on trouverait huit coeurs hautes performances, pour les programmes qui demandent de la puissance, et quatre coeurs basse consommation, pour les applications plus légères. Toujours pour préserver l’autonomie et la consommation énergétique.
Les Mac ARM seront-ils vraiment plus autonomes ?
Intel et ARM ont suivi deux chemins opposés qui tendent désormais à se croiser. Le fondeur de Santa Clara produit depuis les origines du x86 des puces puissantes qui consomment « beaucoup ». Depuis quelques années, il cherche à diminuer la consommation de sa plate-forme et y arrive, d’ailleurs.
ARM a suivi le parcours inverse. Et à d’abord conçu des puces de faible puissance et de faible consommation électrique, qui tendent depuis quelques années à monter en performances et à s’affranchir de la consommation électrique réduite, tout en conservant cet aspect comme point fort en règle générale.
Les Mac ARM/Apple Silicon embarqueront donc des puces qui, de part leur conception originelle, ménagent davantage la consommation électrique et offrent un ratio performance par Watt de très bon niveau. Pour les puces hautes performances qui s’opposent aux Xeon d’Intel, la situation n’est pas encore aussi favorable, ce qui est logique puisque c’est un segment nouveau pour les puces ARM.
En plus de ce positionnement historique, depuis le rachat de P.A. Semi en 2008, puis avec les différentes générations de puces Apple dans les iPhone et les iPad, on a vu qu’Apple maîtrisait particulièrement ce point énergétique. On a notamment pu observer cette capacité à contraindre la consommation du SoC ARM, avec les A13 Bionic. En réalisant un travail d’optimisation plus poussé et en agrandissant légèrement la capacité de la batterie des iPhone 11, Apple a fait réaliser un bond à ses smartphones dans le classement des meilleures autonomies.
Il y a donc fort à parier que les MacBook Apple Silicon gagneront en autonomie par rapport aux modèles actuels. D’autant qu’Apple maîtrisant parfaitement la chaîne matériel/logiciel, tout devrait être optimisé au mieux. Néanmoins, dans le meilleur des cas, les équipes de Tim Cook pourront également faire le choix (selon les gammes) de fournir plus de puissance (graphique notamment), pour une même autonomie.
Enfin, ajoutons une dernière couche positive mais indépendante d’Apple, celle de la technologie de gravure des SoC, qui a des effets aussi bien sur les performances que sur la consommation des puces produites.
La plupart des derniers modèles de MacBook (Air et Pro 13 pouces) embarquent actuellement des puces gravés en 10 nm. Hors, les puces Apple Silicon qui seront conçues pour les Mac ARM devraient l’être en 5 nm (et même 3 nm à partir de 2021, si tout va bien), grâce aux bons soins de TSMC, le partenaire d’Apple. Un tel gain en taille aura forcément lui aussi un effet positif sur les performances de ces puces.
Les puces Apple Silicon permettront-elles à Apple de créer des designs totalement nouveaux ?
En théorie, la scalabilité de l’architecture ARM, sa capacité intrinsèque à aller du très petit au très gros, devrait permettre à Apple de totalement refondre ses gammes. Considérons la puissance d’une puce A13 (qui anime les iPhone 11) ou A12Z, présente dans les iPad Pro 2020. Elle domine une bonne part des puces Intel basse consommation, tout cela avec un refroidissement passif, c’est-à-dire sans ventilateur.
Il est donc imaginable de se dire que les MacBook futurs pourront être plus fins ou plus légers. Après tout, un ultra-portable sous la barre du kilogramme mais qui reste puissant et en durant n’est-il pas le rêve de tout utilisateur ? On peut aussi imaginer qu’Apple en a fini avec cette course parfois absurde, et choisira, quand ce n’est pas pertinent (pour les MacBook Pro, par exemple), de conserver un design similaire pour offrir encore plus d’autonomie et de puissance. Les iMac eux aussi pourraient gagner à l’arrivée des puces ARM d’un point de vue du design.
En définitive, l’introduction de nouveau design dépendra aussi de la volonté éventuelle d’Apple de créer de nouvelles gammes ou familles de produits dans son catalogue – un Mac de gamer ? –, ou d’en ranimer de pré-existantes (une petite pensée pour les MacBook 12 pouces). A l’heure actuelle, la stratégie de Tim Cook semble être de maintenir les spécificités des deux grandes classes de machines personnelles proposées par son entreprise : iPad et Mac.
Cela signifie que les processeurs ARM contribueront à rapprocher ces deux mondes, mais qu’Apple n’a pas la volonté de forcément créer des machines hybrides entre ces deux terrains de jeu – peut-être au moins tant que la transition d’Intel vers ARM n’est pas finie. Cependant, le futur réserve toujours des surprises, et c’est tant mieux.
Mais l’adoption des puces ARM dans les Mac va aussi nous permettre d’enfin savoir si Apple définissait ses gammes en fonction des limitations des puces, contraint et forcé par ce qu’Intel pouvait lui proposer, ou s’il va avancer pied au plancher et donner le meilleur de ce que peut proposer chaque génération de puce Apple Silicon pour chaque modèle. Expliquons-nous et prenons l’exemple des MacBook Retina, ou plus récemment des deux premières générations de MacBook Air Retina. En cherchant à proposer un ultraportable léger et endurant, Apple s’est retrouvé à choisir des processeurs Intel qui ne fournissaient pas assez de puissance (CPU et même GPU) pour des usages quotidiens. D’une certaine manière, ces MacBook assuraient moins de diversité dans les usages que ses iPad Pro…
Quels Mac passeront à ARM en premier ?
Il est fort probable que les premiers Mac à passer aux puces Apple Silicon, soient les portables. Ce sont les machines qui se rapprochent le plus des iPad Pro, et qui demanderont donc le moins d’adaptation des architectures existantes. Certains envisagent même un retour des MacBook à la faveur de cette nouvelle plate-forme.
Cependant, le Mac mini, qui sert de base au kit de développement proposé par Apple, est de facto le premier à être passé aux puces ARM. C’est toutefois sans doute davantage une question de coût et de praticité (facilité d’intégration, moindre importance du contrôle de la TDP, etc.) qu’une volonté stratégique, le Mac mini ne représentant pas le plus gros volume de vente.
A terme, au bout de deux ans que devrait durer la transition, toutes les gammes de Mac devraient avoir abandonné les puces Intel au profit de puces Apple Silicon. Les machines Pro haut de gamme seront certainement les dernières.
Quelles applications seront disponibles ?
Apple a détaillé sa stratégie pour éviter de se retrouver dans une situation équivalente à celle de Microsoft lors de ses deux tentatives de développement de Windows sur ARM : à savoir de gros trous dans la raquette applicative.
Il y a d’abord, les applications qui tourneront nativement sur les Mac Intel (là pour encore de longues années) et les Mac ARM. Le nouvel Xcode et la promesse (à défaut de garantie) que pour la grande majorité des applications x86, il sera facile de les porter vers les puces Apple Silicon. « Quelques jours suffiront » dans la plupart des cas, s’enthousiasmait Craig Federighi, patron du logiciel d’Apple, lors de la keynote. Ce lot d’applications universelles (de deuxième génération, la première étant celle qui embarquait le code PowerPC/Intel) ira croissant au fil du temps. Apple a affirmé que les gros acteurs du secteur, comme Microsoft et Adobe, travaillent déjà à porter leurs programmes sur cette nouvelle plate-forme. Néanmoins, toutes les applications ne seront pas présentes dès le début, ou vous ne souhaiterez sans doute pas les racheter tout de suite, si c’est nécessaire.
Dans ce cas, il faudra compter sur Rosetta 2. Un outil « d’émulation », Apple parle de traduction, qui va réinterpréter le code pour puce x86 à l’installation de l’application. Quand on demande aux représentants d’Apple quel sera le pourcentage de pertes de performances moyen, aucune réponse n’est donnée et on est renvoyé vers la démonstration faite pendant la keynote, qui voyait un rendu 3D lourd tourner dans Maya sans encombre.
D’ailleurs, sur le site d’Apple dédié aux développeurs, on trouve cette phrase « Quoi qu’il en soit, le processus de traduction prend du temps, les utilisateurs risquent donc de percevoir que les applications traduites se lancent ou s’exécutent lentement parfois ». Voilà pourquoi Rosetta est une solution temporaire, destinée à « faciliter la transition vers les puces Apple Silicon, et donner du temps [aux développeurs] pour qu’ils créent leur application universelle ».
Si l’expérience parle, on sait que le premier Rosetta, qui jouait le même rôle avec les applications PowerPC, n’était pas miraculeux, souffrait parfois de lenteur et ne fonctionnait pas correctement avec toutes les applications. Attention donc.
Enfin, dernière catégorie de programmes pour les Mac ARM, ceux qui viennent directement d’iOS et d’iPadOS. Soit environ 2,2 millions de logiciels. Ils tourneront nativement, sans modification des développeurs, sur les Mac ARM (et pas sur les Mac Intel) et s’installeront depuis le Mac App Store.
Comment seront distribués les programmes ?
On pouvait craindre que l’arrivée de puces ARM dans les Mac pousse Apple à appliquer à ces machines les mêmes méthodes que sur iPad et iPhone, à savoir un App Store verrouillé, seul point d’installation des applications. Ce ne sera pas le cas.
Les Mac Apple Silicon continueront de proposer un Mac App Store, où on pourra trouver les applications universelles qui y auront été proposées par les développeurs et bien sûr les applications iOS et iPadOS. Mais il sera toujours possible de télécharger des programmes depuis le site d’un développeur ou un annuaire d’applications. Attention toutefois de ne pas récupérer une version corrompue d’un programme.
Les Mac seront-ils moins chers ?
C’est une question qui revient souvent, les Mac ARM seront-ils moins onereux, étant donné qu’Apple n’aura pas à payer Intel pour ses puces ? Il y a plusieurs réponses à cette question.
La première est de reconnaître qu’effectivement, Apple sera davantage maître de ses coups et pourrait donc éventuellement réduire les tarifs de ses machines sous ARM.
Néanmoins, alors que les Mac Intel et les Mac ARM vont cohabiter pendant un certain temps, y compris sur l’Apple Store, il serait difficile de justifier des gammes tarifaires déséquilibrées. Avec des prix cassés pour les nouveaux Mac. D’autant qu’Apple aura investi en R&D et aimera toujours autant ses marges confortables. Mais on peut toujours rêver, et des Mac à la fois plus abordables et qui sortent du lot des PC sous Intel, ce serait forcément un bon moyen de séduire de nombreux utilisateurs.
Les Mac Intel sont-ils morts, faut-il encore les acheter ?
Apple a annoncé que la transition des Mac vers des puces Apple Silicon prendra deux ans. Une période pendant laquelle des Mac tournant avec des processeurs Intel seront lancés.
Traditionnellement Apple apporte un support technique et une rétrocompatibilité plutôt longue à ses machines. Les Mac Intel devraient être dans cette situation.
Par ailleurs, avec la montée en puissance des applications Universal 2, les programmes devraient continuer d’être disponibles pour les deux architectures pendant longtemps encore.
Avoir acheté un Mac Intel récemment ou envisager d’en acheter un dans les mois à venir n’est donc pas se condamner à avoir un Mac qui ne vivra pas longtemps.
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