Un long voyage. Huit ans au compteur, et pas le moindre signe de toucher au but. Peut-être parce que le chemin est sans fin, peut-être parce que l’objectif a des airs de ceux que Sisyphe ne renierait pas.
Depuis l’introduction de l’application Santé en 2014, et l’arrivée de la Watch en avril 2015, Apple s’est fixé un cap, dont il ne dévie pas, même si les détails évoluent, s’affinent et s’enrichissent sans cesse : « donner aux utilisateurs les moyens de prendre soin de leur santé ». C’est d’ailleurs plus ou moins le nom d’un rapport (Empowering users on their personal health journey, que vous pouvez trouver ici au format PDF) que le géant de Cupertino vient de publier, sans réelle raison apparente liée à l’actualité, qu’il s’agisse d’un nouveau produit ou d’un nouveau service.
A l’occasion de cette publication, nous avons eu l’occasion de nous entretenir brièvement avec Sumbul Desai, vice-président de la Santé pour Apple. Docteure en médecine, membre d’une commission au sein de la prestigieuse université médicale Stanford, elle supervise donc l’effort du géant américain dans le domaine de la santé.
Une offre de fonctions à la croissance organique
De fait, ses propos font écho à ce document d’un peu moins de soixante pages. Les deux prennent des airs de rappel historique, évidemment, mais également de déclaration d’intention.
Sont ainsi décrits les axes principaux autour desquelles sont structurés les applications de suivi de santé et d’activités physiques de l’iPhone, et de la Watch :
- l’enregistrement de vos activités physiques évidemment, symbolisés par les trois célèbres anneaux quotidiens (calories brûlées, temps d’activité et nombre de levers),
- la pleine conscience, qui s’accompagne d’un travail intéressant sur la respiration, et donc la gestion du stress,
- le sommeil, élément central et parfois négligé dans un monde où Netflix et consorts se battent pour votre temps d’attention,
- le suivi du cycle menstruel, et différentes options de santé dédiée aux femmes,
- la surveillance de la mobilité, avec la détection des chutes éventuelles et la stabilité de la marche,
- le contrôle de la prise de médicaments, avec des alertes en cas de risque de contre-indications
- la mise en place de notifications intégrées en cas d’exposition au covid-19, dans les pays qui ont fait le choix de la plate-forme développée par Google et Apple,
- et, enfin, dernier point, mais pas des moindres, le suivi de la santé cardiaque, avec l’ECG, la détection des éventuels battements irréguliers, la fibrillation cardiaque, etc.
Une liste assez longue et un peu fastidieuse qui a toutefois plusieurs vertus. Celle de permettre un état des lieux d’une part, mais aussi celle de matérialiser une avancée progressive à pas comptés, d’autre part. Ce qui est toujours surprenant dans un monde tech où la tentation du progrès trépidant, de l’urgence est forte.
La santé numérique, un fil qui se déroule
Posée et souriante, à l’écoute, Sumbul Desai est toutefois aux antipodes de cette trépidation technologique. « Il faut accorder du temps à la santé, et c’est ce que nous faisons. Nous travaillons sur des fonctions pendant des années avant de les glisser dans les mains des utilisateurs. », répète-t-elle à plusieurs reprises.
Un travail constant, réfléchi, surveillé. « Développer une fonction, c’est dérouler une pelote, un fil conducteur », nous explique-t-elle. « On part d’un point et creuse, creuse encore », commence-t-elle. Avant de sourire et nous donner un exemple de ce processus « organique », selon ses propres mots, où les étapes s’enchaînent logiquement sans qu’elles aient forcément été pensées en amont.
« Quand nous avons commencé à travailler sur la Watch, nous nous sommes concentrés sur le moyen de calculer les calories brûlées. », se rappelle la vice-présidente Santé d’Apple. Le niveau de fiabilité atteint n’était toutefois pas jugé suffisant. « Pour gagner en précision, les équipes ont alors décidé d’intégrer… un capteur cardiaque ».
Si on doute que cela ait été la seule raison, il est amusant de voir que la volonté d’atteindre un seuil de fiabilité avancée dans une fonction, qui n’est pas forcément centrale aux yeux de certains, ait présidé à l’intégration d’un outil devenu essentiel. Car, à partir de là, Apple a reçu des courriers d’utilisateurs, qui indiquaient avoir constaté, grâce au capteur cardiaque, que leur cœur battait parfois plus vite. Des utilisateurs dont la vie a été sauvée, dans les cas les plus dramatiques. En réponse à ces lettres, jusqu’en 2017, les équipes de Sumbul Desai ont travaillé au développement des notifications pour la détection des battements de cœur rapides injustifiés. Alors, sont arrivés d’autres retours d’utilisateurs, qui ont abouti à la fonction ECG, etc. A chaque fois, une strate d’informations s’est ajoutée, aidant des gens, sauvant des vies.
Une validation scientifique, des principes structurants
S’il est évident qu’Apple a une ambition au long cours, il est intéressant de voir que chaque pas sur cette longue route est le fruit d’une écoute attentive. Toujours avec le sérieux qu’implique tout ce qui touche à la santé. « Le développement de la fonction d’ECG a ainsi pris trois à quatre ans », se rappelle Sumbul Desai. Un temps long, une fois encore, mais dans lequel, il faut inscrire des dizaines et des centaines d’étapes, qui commencent avec les travaux préliminaires, le point sur l’état de l’art, la faisabilité matérielle et algorithmique, les tests, les études, et tout cela avant d’avoir même commencé à concevoir le design de la fonction. La représentante d’Apple nous laisse le temps de prendre la mesure de l’immensité du processus avant de nous rappeler l’essentiel, comme une évidence. « Notre travail doit être validé par un processus scientifique ».
Autrement dit, à l’attention quasi obsessionnelle qu’Apple apporte à la conception de ses produits, s’ajoute une rigueur plus poussée encore pour tout ce qui touche à la santé. Tout doit être vérifié par des médecins indépendants, des chercheurs, au fil d’études, afin que la fonction intégrée à la Watch soit fiable et utile.
D’autant qu’une autre contrainte, sur laquelle Apple ne transige pas, s’ajoute à cette démarche : le respect de la vie privée. « Il n’y a rien de plus personnel que notre santé », affirme Sumbul Desai, comme on rappelle des évidences tellement flagrantes qu’elles risquent d’être oubliées. « Parfois, nos engagements à respecter la vie privée nous font prendre plus de temps, mais ce n’est pas négociable ».
Il faut alors que ses équipes intègrent dans le processus de développement des fonctions les mécanismes qui vont permettre de mettre sous les yeux des utilisateurs les données de santé pertinentes, sans qu’Apple puisse y accéder, ni qui que ce soit d’autres. « Les données personnelles de santé de nos utilisateurs ne peuvent pas être partagés avec un tiers, y compris un membre du personnel médical, sans une autorisation explicite », martèle-t-elle.
La santé connectée, un futur parfois encore lointain
Sumbul Desai le répète à l’envi, « la Watch est un agent intelligent, le gardien de la santé de l’utilisateur ». Il ne doit en aucun cas amoindrir le droit essentiel à la vie privée. Pas plus qu’il n’est là pour remplacer les médecins ou le système médical. La Watch donne accès à environ 150 types de données de santé, autant d’éléments qui peuvent être partagés avec un médecin et aider à soigner.
Toutefois, il y a une différence entre ce monde auquel travaille Apple, et où la santé personnelle numérique est omniprésente, et la réalité, les réalités. En France, le réflexe est moins développé qu’aux Etats-Unis semble-t-il ? Est-ce seulement lié à quelques différences culturelles, et une inclinaison plus anglo-saxonne au quantified self ? Peut-être, mais pas seulement. « Il y a une plus grande acceptation aux Etats-Unis », reconnaît volontiers Sumbul Desai. Avant de préciser aussitôt que « Apple se doit aussi de faire plus d’efforts de communication, de pédagogie et de terrain pour faire en sorte que les médecins, les institutions de santé apprennent à utiliser cette manne d’informations, quand leurs patients le veulent bien. »
Mais les choses évoluent peu à peu, et l’effort demandé est considérable, si on le multiplie à l’échelle des différents pays du globe. Néanmoins, les premières études qui reposent sur Healthkit sont en cours ou se préparent en Europe, nous assure la représentante d’Apple. Or, cet outil qui permet d’agréger des données de santé pour établir des cohortes médicales brillaient jusqu’à présent davantage – pour ne pas dire exclusivement – aux Etats-Unis.
C’est la partie immergée de l’iceberg des ambitions dans le domaine de la santé, d’Apple. Ces études permettent en effet de faire avancer ses produits, de développer de nouvelles fonctions dans un cadre scientifique et de qualité. Ces études montrent à la fois la fiabilité de la Watch mais la nourrissent également en retour. La fonction de surveillance de la stabilité de la démarche des utilisateurs de Watch est ainsi née d’une étude Apple Heart and Movement, initiée en 2019.
Car, rappelons-le, l’approche scientifique prévaut, sans elle, pas de Watch, pas de fonctions avancées, pas de capteur de température corporelle ou de système d’estimation de la glycémie fiable – qu’on attend toujours et attendra tant qu’Apple ne les jugera pas assez bons.
En définitive, glisser un capteur dans un produit aussi compact que la Watch n’est qu’une infime partie du défi. Avant de l’y installer, les équipes de Sumbul Desai continuent leur travail inlassable. Elles prennent le temps qu’il faut, le temps nécessaire à l’essentiel, le temps nécessaire à mettre au point un outil pour accompagner votre quotidien, prendre soin de votre santé, et peut-être sauver votre vie… depuis votre poignet.
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