Depuis quelques années, Apple semble endosser les responsabilités qui vont avec un grand pouvoir. L’annonce en juillet dernier d’un objectif bilan carbone neutre d’ici 2030 en est la manifestation écologique. De plus longue date, Apple cherche aussi – et ce n’est pas facile – à s’assurer que les centaines de milliers de personnes, qui assemblent ses produits et fabriquent leurs composants, travaillent dans des conditions humaines et respectueuses du droit du travail, même si l’affaire n’est pas simple. L’effort semble en tout cas sincère.
Néanmoins, ces grands principes humains semblent parfois peser bien peu face à certaines autorités locales. En Chine ou à Hong Kong, Apple se plie souvent aux exigences de censure ou de surveillance d’un gouvernement autoritaire : en supprimant certaines applications utiles comme les VPN de son App Store chinois (plus de 1 000 !) ou en acceptant de déplacer des données d’utilisateurs vers des data centers contrôlés par l’Etat chinois. Ces décisions justifiées par une volonté de se plier aux lois locales vont évidemment à l’encontre des droits fondamentaux, des droits de l’Homme, de l’Humain.
Dans ce contexte, la publication par Apple, pour la première fois, de son engagement vis-à-vis des droits de l’Homme est un moment important, un premier pas, visant à définir les contours d’une politique. Un texte court, quatre pages seulement, qui constitue une sorte de colonne vertébrale de l’action de la société américaine. Une vision et des positions qui couvrent autant les droits de l’Homme au sens classique que l’écologie.
Cette déclaration d’intention n’a pas le panache de grands textes qui ont fait date, mais elle définit toutefois à grands traits (trop grands traits ?) des limites qu’Apple entend fixer et ne pas franchir, en plaçant l’Humain avant tout, que ce soit parmi ses employés ou ses clients.
Apple y déclare vouloir mettre la technologie au service de la sécurité et de la vie privée, en proposant des outils de communication qui respectent ces deux piliers essentiels. La position n’est pas nouvelle, Tim Cook entonne régulièrement cette antienne. Néanmoins, la voir écrite noir sur blanc, dans un document « officiel », donne un autre poids à ces mots. D’autant qu’Apple n’avait aucune obligation à le faire, même si certains groupements d’actionnaires, comme SumOfUs, encourageait vivement le géant américain à prendre des positions tranchées et claires sur ce sujet depuis quelque temps.
Le rapport Ranking Digital Rights 2019 (PDF) sur la responsabilité des entreprises dans le monde et leur respect des droits mettait en avant les progrès d’Apple dans le domaine de la vie privée mais révélait aussi le retard du géant de Cupertino dans celui de la liberté d’expression, notamment en comparaison d’autres sociétés américaines. La société de Tim Cook était ainsi la moins bien classée des entreprises états-uniennes étudiées par le rapport. Il est intéressant de noter que contrairement à un autre géant, Microsoft, Apple n’appartient pas au Global Network Initiative, dont un des objectifs est d’assurer la liberté d’expression.
Cette déclaration de principe est donc un premier pas. Un pas d’autant plus important qu’en février dernier, 40,6% des investisseurs dans Apple votaient contre une motion proposée par SumOfUs qui demandait à ce que ses dirigeants prennent position pour la défense des droits de l’Homme et la liberté d’expression. Ce n’est pas la première fois qu’Apple prend une position qui va à l’encontre des désirs de certains de ses actionnaires. Ca a déjà été le cas lors de la mise en place de la politique « verte » de la société.
Après le respect du droit du travail et la construction d’une politique écologique plus durable, les équipes de Tim Cook semblent donc s’attaquer à un autre grand chantier. Reste maintenant à savoir comment sera appliqué cette charte éthique au quotidien, reste à savoir également si le géant américain, énormément dépendant de la Chine, que ce soit pour sa croissance économique ou la fabrication de ses produits, pourra se montrer inflexible et exemplaire quand un gouvernement autoritaire tapera du poing sur la table.
La déclaration publiée donne un début de réponse : « Nous croyons en l’importance critique d’une société ouverte dans laquelle l’information circule librement et nous sommes convaincus que la meilleure façon de continuer à promouvoir cette ouverture est de rester engagé, même quand nous pouvons être en désaccord avec les lois d’un pays. » Apple reste donc pragmatique et rappelle une fois encore que déserter le terrain ou quitter la table des négociations ne résout pas un problème. Inflexible ? Non. Plus « engagé »… On peut l’espérer.
La publication de cette déclaration est aussi un exemple pour les autres entreprises, celles qui seraient moins avancées que le géant de Cupertino dans le domaine. En retard, sur le sujet, Apple pourrait faciliter le combat par son poids intrinsèque. Si une entreprise qui pèse plus de 2 000 milliards de dollars ne peut pas porter ce combat, qui le peut ? La première réponse simple serait : personne. La seconde tient en un mot : nous. Que ce soit pour épauler Apple ou lui rappeler ses obligations. En effet, la liberté d’expression et les droits de l’Homme ne sont pas une assurance optionnelle, un « Apple Care » pour l’Humanité, mais bien un droit fondamental…
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