Le 27 janvier 2010, Steve Jobs, amaigri mais toujours vif, montait sur la scène du Yerba Buena Center for the Arts de San Francisco. Il s’apprêtait à y dévoiler la tablette sur laquelle les ingénieurs d’Apple travaillaient depuis le début des années 2000 : l’iPad.
Quelques mois plus tard, le 3 avril, le premier iPad commençait sa déferlante sur le monde et donnait à la formule ère Post PC une toute autre mesure, même s’il faudrait dix ans pour arriver à nos jours et en prendre toute la mesure…
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Un projet de longue haleine…
Il a fallu près de dix ans pour que le project Purple, initié par Steve Jobs peu de temps après son retour aux affaires, aboutisse. Il faut dire que le projet ne manquait pas d’ambition : trouver un nouveau facteur de forme dans le monde de l’informatique personnelle. Autrement dit, l’appareil se devait d’être très léger, d’opter pour une nouvelle forme d’interaction, afin d’être utilisable partout… même sur les toilettes, comme on l’apprend dans le livre Becoming Steve Jobs, de Brent Schlender et Rick Tetzeli.
https://www.youtube.com/watch?v=0XJg74qnvxE
Capitalisant sur de nombreuses recherches internes et externes, c’est le tactile qui sera retenu. En l’espèce Apple n’est pas seul : l’écran tactile est également utilisé chez Microsoft pour les Tablet PC au début des années 2000 avec un succès très limité, qui poussera tout de même l’éditeur, plus tard, à développer Windows 8. Une version mal aimée du système d’exploitation, qu’on peut percevoir autant comme une réaction à l’arrivée de l’iPad que comme la continuité d’une recherche visant à remodeler le PC.
Retardé pour cause d’iPhone
Si l’iPad a mis dix ans à voir le jour, c’est qu’il partait de loin – au départ, la surface tactile mesurait la taille d’une table de ping pong et était équipée d’un système de projection – et aussi qu’il a été mis de côté à plusieurs reprises et notamment pour laisser la place à un autre projet maison : l’iPhone. La raison de cette mise au placard temporaire était simple et résumée par cette phrase de Steve Jobs à Jonathan Ive : « je ne sais pas si je peux convaincre les gens qu’une tablette est un produit qui a une vraie valeur […] Mais je sais que je peux convaincre les gens qu’ils ont besoin d’un meilleur téléphone ».
Trois ans après la révolution qu’a été l’iPhone, le tactile n’était plus un problème et convaincre les potentiels acheteurs de la pertinence de l’iPad bien moins difficile. Les ventes des tablettes d’Apple à son lancement ont d’ailleurs été bien meilleures que celles de l’iPhone.
L’ère du Post-PC, initiée par le smartphone, démarrait en fanfare, promise à un bel avenir… Les ventes de PC en chute libre, Windows à la peine, tout semblait annoncer un grand changement, le monde serait tactile ou ne serait pas. Pourtant, assez rapidement, dès le deuxième trimestre fiscal 2014, les ventes vertigineuses d’iPad se sont tassées, puis effondrées.
Chercher sa voie
Ce désamour est lié à de nombreux facteurs. Le principal tient surtout à la réalisation que les iPad ne peuvent pas remplacer un PC portable, ou même les fameux Netbook, portables minuscules et assez inconfortables qui ont triomphé pourtant peu de temps avant l’arrivée des tablettes.
La faute, donc, aux limites des iPad (et des tablettes en règle générale), qui sont dans les faits parfaitement adaptés à la consultation de contenus mais se montrent bien plus à la peine quand on souhaite taper un mail un peu long, saisir un texte ou faire tout cela en même temps.
Même les tâches de productivité les plus simples impliquaient une adaptation de l’utilisateur, qui devait passer par une interface tactile certes confortable, mais pas toujours parfaitement fonctionnelle.
Evidemment, Apple a eu d’emblée conscience de ce problème, qui empêchait les iPad de devenir de vrais remplaçants aux PC portables. En l’occurrence, même la juxtaposition de deux fenêtres, bases de ce qu’on appelle le « multitâche » était impossible. Un sacré handicap.
Un double premier pas va être franchi en 2015. Il voit apparaître le premier iPad Pro et iOS 9. Proche des MacBook par la taille de sa dalle, l’iPad Pro offre un bel espace d’affichage, le support d’un stylet (Apple Pencil) et surtout, des connecteurs qui permettent de brancher un clavier sans les affres du Bluetooth.
Avec ce nouveau système d’exploitation, il sera enfin possible de scinder l’écran en deux ou même d’utiliser un mode Picture in Picture pour une vidéo. Mais ce sera encore trop peu.
Une constatation s’impose : le matériel semble abouti bien avant le logiciel. Au fil des itérations, les bordures d’écran s’affinent, la gamme pro s’étoffe, marque sa différence avec un design plus agressif, l’adoption de Face ID, tandis que les performances des puces Apple A sont largement suffisantes pour des usages exigeants.
Mais le soft pèche. C’est là que tout doit être réinventé, sauf à fournir à l’iPad un clavier et une souris, quitte à négliger le tactile.
Construire et reconstruire
De facto, de 2015 à l’année dernière, Apple s’est attelé à deux missions. La première, redéfinir une gamme complète et harmonieuse. Un effort achevé en mars 2019 avec le rafraîchissement inespéré de l’iPad mini et le retour à la vie de l’iPad Air, modèle très inspiré du premier iPad Pro 10,5 pouces qui sert de haut de gamme à l’offre grand public. La famille iPad s’étend désormais de l’iPad (10,2 pouces), qui établit une entrée de gamme à 389 euros, à l’iPad Air (569 euros) jusqu’aux iPad Pro 11 et 12,9 pouces (respectivement à partir de 899 et 1119 euros). L’iPad mini (toujours 7,9 pouces) de cinquième génération se positionne en alternative de petite taille, légèrement excentrée. Ainsi, les iPad couvrent un large spectre d’usages : consultation et ultra-mobilité, usages classiques d’une tablette un peu renforcés, approche quasi pro et offre pro, déclinée en deux tailles pour privilégier la portabilité ou le confort d’affichage.
La seconde mission consistait à rapprocher encore plus l’iPad du statut de PC portable, notamment en revoyant le design des iPad Pro, en embarquant des puces extrêmement performantes. Mais c’est surtout en introduisant un système d’exploitation spécifique à cette plate-forme : iPadOS, qu’Apple veut effacer les différences.
La première itération de ce système ne se distingue pour l’instant qu’assez peu d’iOS 13, mais le renforcement du multitâche et l’introduction de nouvelles formes d’interaction sont des signaux encourageants. La route semble encore longue et si Apple ne souhaite pas faire revenir à la vie le support de la souris (ou du pavé tactile) sur iPad, il va lui falloir chercher de nouvelles voies.
Réinventer les interactions
On imagine, pour certains contextes d’utilisation, un nouveau couple formé par le tactile, éprouvé, et par un Siri « toujours disponible » et vraiment performant. C’est sur ce dernier point que la tâche sera la plus complexe. Tant pour améliorer l’assistant personnel en lui-même que pour assurer son intégration à toutes les applications, qu’elles soient signées Apple ou d’autres développeurs.
Car pour réussir à devenir un vrai PC, l’iPad va devoir homogénéiser les interactions, les standardiser et les systématiser. Il faut que tout fonctionne, partout, tout le temps, ce qui n’est pas le cas avec iPadOS 13 actuellement.
Apple ne communique désormais plus le détail des ventes de ses appareils, difficile dès lors de comparer les chiffres. Néanmoins, les conférences d’annonce des résultats financiers trimestriels sont toujours l’occasion pour Tim Cook et ses équipes de donner quelques chiffres ou tendances. Lors du deuxième trimestre 2019, Tim Cook indiquait ainsi que les iPad avaient connu leur plus forte croissance depuis les six dernières années. Les tablettes d’Apple, qui règnent en maître sur le marché, seraient donc reparties en conquête.
Peu importe en définitive, car le chemin parcouru et encore à couvrir est en soi fascinant et colossal.
Il aura fallu une décennie à l’iPad pour trouver ses marques et sa voie. Les bases sont désormais là, reste à iPadOS à mûrir et au matériel à évoluer avec le marché. L’iPad sera-t-il un PC comme les autres, un de ces jours ? A franchement parler, on espère que non. Apple n’a pas voulu suivre la voie tracée par Microsoft – peut-être à tort – en conséquence de quoi on ne peut être que curieux de voir où mène ce chemin original. Rendez-vous dans dix ans !
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