Vous avez une idée, nous vous apportons l’argent pour la réaliser. Voilà quel fut le discours des capital-risqueurs pendant la prériode d’euphorie qui a couru depuis le début de l’année 1999 et l’été 2000.Un an après l’e-krach, 01net. a souhaité revenir sur cette révolution qui s’annonçait et qui promettait de faire passer les idées avant l’argent, l’initiative avant l’origine sociale. Anne-Marie Waser, chargée de
recherche au CNRS, étudie depuis plus d’un an, huit start-up à la loupe. Elle nous livre ici son analyse de l’impact de la nouvelle économie sur les structures sociales et décrypte le mythe du jeune créateur de start-up, héros de l’Internet.
01net. : La nouvelle économie est-elle le point de départ d’une révolution sociale ? Anne-Marie Waser : Ce n’est encore qu’une hypothèse. La nouvelle économie bouleverse le principe de justice sociale. Ceux qui y participent sont d’accord pour que la notion d’égalité des chances, qui existe par exemple
au départ d’une compétition, ne soit plus le principe dominant.Dans la nouvelle économie, il n’y a pas de règles claires, rien n’est défini, tout flotte. On se sert des médias pour orchestrer le tout, on cherche avant tout une forte visibilité. Ce qui est étonnant, c’est que cette forme de
consécration ne soit pas contestée.On peut croire à une révolution sociale, mais davantage sous la forme d’un mixage. Le grand perdant sera l’école. On voit bien que ceux qui ont réussi ne le doivent pas à leur diplôme. Souvent les entrepreneurs sont par ailleurs
beaucoup moins diplômés que les managers qu’ils vont recruter par la suite. Ce que ces entrepreneurs ont en plus des autres, c’est la prise de risque.Cette remise en cause du principe d’égalité des chances favorise-t-elle certains profils plutôt que d’autres ?Oui, dans la mesure où ces règles favorisent ceux qui acceptent le risque total. Précisons quand même que les créateurs de start-up sont plutôt issus des classes moyennes et supérieures. Je n’ai jamais vu de chômeur ou quelqu’un sans
ressources propres monter une start-up. Les créateurs de start-up disposent le plus souvent d’un réseau de relations et d’argent en provenance de la famille ou des proches.La conséquence de cette acceptation du risque total est qu’ils vont ensuite l’imposer aux suivants qui n’auront pas de parachutes. Cela constitue de fait une poussée importante des principes du libéralisme et une remise en cause de
certains principes de la protection sociale.Qu’est-ce qui distingue les créateurs de start-up du créateur d’entreprise traditionnel ?Cette génération d’entrepreneurs est très souvent constituée de rebelles scolaires, de gens qui ont tout juste le bac. Le capital-risque a donné une chance à ces rebelles scolaires. C’est l’exemple typique de Jerémie Berrebi qui avoue
devant un parterre de sénateurs hilares avoir eu le bac en trichant.Ils ont une revanche à prendre sur le système scolaire. Ils étaient un peu génie à leur manière, le système scolaire n’a pas reconnu leur compétence à savoir bidouiller, ruser et explorer. Ils gardent cette frustration en eux comme
une boule d’énergie qu’ils relâchent après. C’est également cela qui explique qu’ils sont très sensibles à la rémunération symbolique, la reconnaissance, que procurent les médias.A la différence de l’ancienne économie, les entrepreneurs qui ont levé beaucoup de fonds n’avaient pas la rentabilité pour objectif. C’est en s’amusant que ces entrepreneurs ont réussi à monter leur projet. Ils s’inscrivent dans un
logique d’innovation pour l’innovation, ils n’ont aucune idée des règles de gestion et ce sont généralement de très mauvais managers. On a l’impression qu’ils n’auraient pas besoin d’entreprise. Quand on regarde la façon dont ils structurent leur
entreprise, on peut se demander s’il y en a vraiment une.Qu’est-ce qui compte le plus pour ces entrepreneurs : l’argent ou la reconnaissance ? Au départ, il y a toujours la passion. La passion de faire partager tout ce que va apporter Internet. Ce qui compte sur Internet, c’est ce que vous faites et non qui vous êtes. Internet est en soi un vecteur de nouveau melting pot qui
s’inscrit tout à fait dans la décomposition actuelle des classes sociales, ou le fait d’une moindre reconnaissance accordée aux diplômes. Tous ceux qui gravitent autour des start-up ont dans la tête qu’ils vont pouvoir renverser la pyramide sociale.
Ils sont tous un peu humanistes.Bien sûr, on rencontre aussi un autre type de créateur d’entreprise pour qui l’argent est la motivation principale. Ces derniers sont plus âgés, ils ont fait une école de commerce, ont travaillé sans enthousiasme dans la finance ou la
banque. En entrant dans la nouvelle économie, ils ont rêvé de devenir riche très vite. C’est eux qui ont demandé le plus de stock-options et ils ne témoignent d’aucun attrait spécifique pour Internet.Les deux profils sont très distincts, généralement ils ne se mélangent pas.Cette nouvelle dynamique propre à la nouvelle économie est-elle plus ouverte aux autres couches sociales moins favorisées que l’ancienne économie ?Effectivement, le ticket d’entrée dans la nouvelle économie est relativement faible. Par exemple, une illustration simple, Ababacar Diop et ses amis qui ont monté un cybercafé expliquent qu’il est beaucoup plus facile de monter un
cybercafé que d’ouvrir une boucherie ou une boulangerie. Le ticket d’entrée est moins important.Il y a des exemples de promotions sociales fulgurantes. Certains sont entrés dans la start-up pour un stage d’été et qui se retrouvent responsable du développement un an plus tard. La question demeure de savoir si cette reconnaissance
acquise dans les start-up est transposable dans l’économie traditionnelle.Cependant, si les Français d’origine africaine ou asiatique sont mieux acceptés dans les start-up que dans les entreprises traditionnelles, c’est aussi parce qu’ils ont suivi un parcours universitaire classique. Et la fracture avec
les banlieues et les beurs des banlieues demeure aussi forte dans la nouvelle économie que dans l’ancienne.La secrétaire qui devient millionaire grâce aux stock options de son entreprise, c’est un mythe ?Avant le e-krach, tout le monde y croyait fort, et beaucoup ont accepté des baisses de rémunérations en échange de stock-options. Cela a contribué à générer une dynamique de travail pour la réussite de l’entreprise. Quand le miroir
s’est brisé à la fin 2000, beaucoup ont cherché à renégocier leur salaire. En vain. Même s’ils acceptent le jeu ils ont voulu jouer au loto, ils ont perdu ?” il y a maintenant une grosse démotivation.Quelques années après la crise des années 80/90, la nouvelle économie est-elle apparue comme un mythe salvateur ?Pas de façon probante. Dans sa très grande majorité, la société française est “risquophobe”, et préfère le salariat, l’avancement à l’ancienneté, etc. De plus, la nouvelle économie est un phénomène marginal à l’échelle de l’économie
française. La proportion de créateurs de start-up également.
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