01net.com. Le Sommet Mondial de l’information pose la question de placer la gouvernance de l’Internet sous le contrôle des Nations-Unies. Qu’en pensez-vous ?
Andy Müller-Maguhn. Actuellement, la gouvernance de l’Internet est sous le contrôle de l’Icann, société privée de droit américain, qui gère, entre autres, l’attribution des noms de domaines et des adresses
Internet. Elle est l’émanation directe du ministère du Commerce américain. Je suis donc ravi que la communauté internationale se rebelle contre la tutelle américaine. Mais je remarque également que les pays qui ont le plus élevé la voix
contre le système, comme l’Iran et la Chine, ne sont pas vraiment des modèles démocratiques ni des garants de la liberté d’opinion. Aux Etats-Unis, la Constitution et plusieurs lois garantissent encore une certaine liberté
d’opinion.Cela présente-t-il un risque ?
Avant de placer la gouvernance de l’Internet sous le contrôle de l’ONU, ce que nous sommes nombreux à souhaiter, on doit se demander à quel point l’ONU est capable de gérer efficacement cette gouvernance et de résister
aux pressions nationales. L’un des risques est de voir l’Internet se morceler sous la pression des intérêts nationaux.Un transfert des missions de l’Icann vers l’ONU est-il envisageable ?
Depuis que cette question est évoquée, l’Icann fait tout pour devenir irremplaçable. La société concentre une grande partie de ses efforts à renforcer sa légitimité en tissant des liens de plus en plus importants avec tous les types
d’acteurs qui interviennent dans la gestion des noms de domaine. Un transfert des missions de l’Icann vers l’ONU implique donc, soit la dissolution de tout ou partie de la structure développée par l’Icann, soit sa
reprise. Ce qui supposerait alors que l’ONU s’accorde avec les représentants divers de cette toile d’araignée. Concrètement, le processus de transfert et d’harmonisation des aspects juridiques et techniques va durer
plusieurs années et rencontrera la résistance de toute l’administration américaine. Il ne faut pas l’ignorer.En 2000, l’Icann a accepté qu’une partie de son directoire soit élue par les internautes. Cette tentative d’ouverture s’est-elle concrétisée ?Ces élections ont joué un rôle essentiel. Elles ont permis de faire connaître au grand public la problématique et les controverses qui entourent la gouvernance de l’Internet, en Amériques du Sud et du Nord ou en Europe. Pour
l’Icann même, l’élection n’a pas changé grand-chose puisqu’il s’agissait en fait d’élire seulement 6 personnes sur un bureau de 18 personnes.Cela-a-t-il changé quelque chose dans les prises de décision de lorganisme ?
Avant chaque vote, l’avocat de l’Icann venait nous donner de nombreux et bienveillants conseils juridiques où l’on pouvait clairement comprendre quelles étaient les décisions qui ne viendraient pas contrecarrer les
désirs du gouvernement américain. Autre exemple, après les attentats de 2001, j’ai voulu consulter le dossier sur l’Afghanistan. On m’est tombé dessus et j’ai failli être littéralement jeté dehors. Il aurait fallu que je
dépose une demande qui aurait été examinée par un avocat. En 2003, l’Icann a décidé de ne pas renouveler l’expérience des élections. A la place, on a préféré se lancer dans la création de conseils régionaux de l’Icann, un
conseil par continent, réunissant différentes personnalités et organisations liées à l’Internet.L’Internet reste-t-il, malgré tout, un espace de liberté ?
L’Internet n’a pas d’équivalent pour l’échange et le transfert de données ainsi que l’accès à l’information. Mais on est loin de l’idéal de liberté totale dont rêvent certains. Mis à part
la gestion des noms de domaines spécifiquement nationaux, la gouvernance de l’Internet est contrôlée par une société américaine, elle se base sur des contrats américains, sur le droit américain, et la conception dominante des droits
d’auteur ou du droit des marques est encore américaine. Sur ce terrain, les tribunaux américains ont aussi l’avantage. Par ailleurs, l’Internet est aussi soumis aux législations nationales. Contrairement aux apparences,
l’Internet n’est pas l’un des espaces les moins régulés du monde mais, au contraire, l’un des plus régulés.
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