Entretien avec Gérard Berry, titulaire de la chaire Informatique et Sciences numériques au Collège de France et chercheur à l’Inrial’Oi : pourquoi créer une chaire annuelle Informatique et Sciences numériques au Collège de France ?GB : l’informatique est devenue une grande discipline scientifique dans des pays comme les États-Unis, la Chine ou l’Inde. En France, elle est restée cantonnée à l’enseignement supérieur. Les mathématiciens se sont rendu compte de la place que prend l’informatique à notre époque. C’est pourquoi l’Inria a décidé de créer une chaire avec le Collège de France, institution dont la renommée est immense dans le monde. L’informatique est dorénavant considérée comme une science à part entière.l’Oi : quel est l’objectif de votre enseignement ?GB : le Collège de France avait déjà introduit l’informatique dans son enseignement en 2008 avec la chaire d’Innovations technologiques dont j’étais titulaire. Mon cours sur le numérique a connu un énorme succès (près de 80 000 téléchargements). À partir de là, il était devenu urgent que cette discipline soit reconnue de manière autonome. Ce cours vise à mieux faire comprendre les nouveaux usages de la révolution technologique que nous vivons actuellement en abordant les fondements de cette science. Et cela répond à un besoin, qui est d’élargir le champ de l’informatique aux sciences numériques : la bio-informatique, la médecine et la physique numériques…l’Oi : pouvez-vous définir l’intitulé de votre cours “ Penser, modéliser et maîtriser le calcul informatique ” ?GB : le but de cet enseignement est de démontrer le fossé existant entre notre pensée humaine, intuitive et créatrice mais lente et moyennement rigoureuse, et la machine, qui, elle, est extrêmement rapide, totalement rigoureuse mais absolument stupide. Ce fossé rend très difficile le passage de l’idée d’un calcul à sa réalisation fidèle. Pour faciliter ce passage, il y a les modèles de calculs à la fois intuitifs et mathématiques, qui permettent de guider la pensée vers la réalisation informatique. La science informatique est particulièrement liée aux mathématiques. Elle les utilise dans les trois grandes branches qui la constitue : l’information (codage, transport, stockage, cryptage), l’algorithmique et la programmation.l’Oi : comment allez-vous l’aborder ?GB : je pars de ce qui s’est passé dans les années 1930, avant les ordinateurs, quand les mathématiciens ont étudié la théorie du calcul et posé les bases scientifiques du domaine. Ainsi le lambda-calcul a été inventé en 1936, pas du tout pour l’informatique mais pour les mathématiques. Depuis, il a été appliqué comme langage de programmation théorique. Une nouvelle époque est arrivée ensuite avec les super-ordinateurs et les modèles du calcul séquentiel, qui a dominé l’informatique jusqu’à la fin du XXe siècle et qui est encore d’actualité. J’aborderai les modèles de calculs parallèles qui jouent un rôle majeur dans les réseaux, les multiprocesseurs et les systèmes embarqués. Le cycle se poursuivra avec l’étude de nouvelles formes de calcul et de transmission de l’information au regard de la très grande taille des ordinateurs et des réseaux disponibles, pour s’achever sur les applications dans les circuits électroniques, entre autres (avions, usines…).l’Oi : quel est le niveau de la France dans ce domaine ?GB : nous avons un très bon niveau en ce qui concerne la recherche et les sciences, avec une reconnaissance internationale. Mais le passage au progrès technologique est plus difficile, car les milieux sont extrêmement cloisonnés et les Français n’ont pas la culture entrepreneuriale. Si la perméabilité s’améliore, il subsiste encore des freins institutionnels très forts et des mises de moyens insuffisantes. Il y a encore une confusion entre économie numérique et création numérique.l’Oi : vers quelles nouvelles applications cela peut-il déboucher ?GB : en plus de servir d’outil de calcul, l’informatique est en train de révolutionner les usages. Les réseaux d’éducation, de savoir vont fondamentalement se transformer. Elle s’impose dans l’instrumentation en astronomie, en physique et en imagerie médicale. En médecine, la modélisation numérique des organes va aider au diagnostic et au traitement des maladies, avec le suivi des patients en temps réel, les prothèses électroniques ou les cœurs artificiels… Biologie et numérique s’interconnectent pour tout ce qui touche à la génétique, à la simulation du vivant. Autre domaine encore très peu exploité par le numérique, mais aux perspectives intéressantes : l’art.l’Oi : quels seront les développements sur Internet ?GB : même s’il n’y ressemble pas, Internet est un super-ordinateur avec des domaines d’applications infinis. Comme, par exemple, prendre toutes sortes d’informations et les agréger alors qu’elles ne sont pas prévues pour cela. Ou programmer ce réseau pour faire des choses intelligentes. Il y a un important travail à développer sur les bogues des programmes, la diffusion d’information, la propagation du pair à pair (Ndlr : peer-to-peer). On est loin d’être allé au bout de la recherche sur Internet.l’Oi : la science informatique va-t-elle être maintenant mieux perçue ?GB : l’informatique, c’est autre chose qu’un rayon dans un supermarché. Les Français ont une vision erronée du développement numérique, fondée plus sur la notion de consommation que sur celle de création. L’informatique est un métier de conception. La difficulté réside dans le fait que les gens qui discutent de ces sujets ne les connaissent pas. L’Éducation est très en retard dans ce domaine. Et ce n’est pas près de changer, car l’informatique n’est plus enseignée en classe. C’est pourtant avec les enfants qu’il faut travailler. Je souhaite que l’informatique devienne une matière scolaire à part entière, au même titre que celles qui leur sont déjà enseignées.
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