l’Oi : Pour quelles raisons avez-vous, en 2004, lancé le projet Ubuntu ?MS : Sur un plan personnel, j’avais trois motivations principales. L’une d’elles était la philanthropie. Je pensais, et je le pense toujours, qu’il est possible de rendre la technologie accessible au plus grand nombre, pas seulement pour la Nasa ou Wall Street, mais aussi pour les pays pauvres et leur éducation. Je crois que ce futur est possible et je voulais apporter ma pierre à l’édifice.l’Oi : Quelles sont aujourd’hui les bases de votre modèle économique ?MS : Nous avons une multitude de sources de revenus. Par exemple, dans la prochaine version d’Ubuntu [Ubuntu 10.04, attendu pour avril, NDLR], nous allons proposer une plate-forme de type “ music store ”. Elle permettra, nous l’espérons, d’accéder à un vaste catalogue de titres de Sony, EMI, ou Universal, avec qui nous sommes en cours de discussion. D’un point de vue financier, nous toucherons une petite commission sur les ventes de ces morceaux. Aujourd’hui, les fabricants de PC nous payent pour les aider à faire en sorte que leur matériel fonctionne parfaitement avec Linux. Nous proposons aussi avec des partenaires des services payants aux entreprises, dont le support technique. Notre modèle économique est une combinaison de tout cela et reste en constante évolution.l’Oi Quel est le rôle exact de Canonical dans le projet avec Google ?MS : La signature du contrat avec Google pour participer au développement de Chrome OS a eu lieu en juin 2009. Nous jouons un petit rôle dans le développement de l’infrastructure de Chrome. Nous apportons à Google notre expertise technique dans le développement d’OS Linux, et il nous paye pour cela.l’Oi N’y a-t-il pas un risque que Chrome concurrence Ubuntu ?MS : Chrome demeure un produit Google, qui correspond à sa propre vision de l’univers des technologies de l’information. Son objectif est de permettre un accès plus rapide et mieux sécurisé à Internet et aux services en ligne. Si accéder au Net est tout ce que vous voulez faire avec un ordinateur, alors Chrome sera la meilleure solution pour ce type d’usage.l’Oi : Google a fait une percée remarquée sur le marché du téléphone mobile avec Android, OS en partie open source. Canonical a-t-elle aussi des projets dans ce domaine ?MS : Pour l’instant, non. Nous avons porté Ubuntu sur la plate-forme de processeurs pour appareils mobiles : ARM. Mais il s’agit de terminaux Internet ou d’ultraportables, mais pas de téléphones mobiles. Il y a indéniablement un potentiel pour Linux dans l’univers du mobile. Mais je ne vois pas d’opportunité immédiate pour nous dans ce domaine.l’Oi Vous dites que Linux est de plus en plus populaire. Quelle est justement votre vision de l’avenir de Linux ?MS : Je dirais que le futur sera bâti sur Linux. Cet avenir est déjà en marche. Google est basé sur Linux, Facebook est basé sur Linux, même chose pour eBay. Bon nombre de grandes innovations de l’univers IT de ces dix dernières années utilisent Linux, à un niveau plus ou moins haut de leur infrastructure. Et je pense que cela va s’accentuer dans l’avenir.l’Oi : Ces exemples sont basés sur l’utilisation de Linux sur serveurs, mais voyez-vous un avenir aussi prometteur du côté des postes clients ?MS : Je crois que nous n’avons, en effet, plus besoin de faire nos preuves sur le marché des serveurs. Reste donc à gagner des parts de marché sur le poste client. Là aussi, je pense que Microsoft va continuer à perdre du terrain, au profit de Linux. Mais cela va prendre du temps. Windows a donné beaucoup d’habitudes à bon nombre d’utilisateurs qui ne sont pas prêts à recommencer leur apprentissage de zéro. Donc, plus la prise en main de Linux sera rapide, plus l’adhésion du public sera large. C’est l’une des raisons d’être d’Ubuntu.l’Oi : Voyez-vous dans le concept du client léger un fort potentiel pour Linux ?MS : Oui. J’aime assez cette idée d’un terminal simple connecté au réseau et permettant d’effectuer la plupart des tâches bureautiques sous la forme de services en ligne. Parmi les différents types de postes clients, je pense en effet que Linux répond parfaitement aux besoins du client léger. Linux ne réclame pas beaucoup de ressources système, ce qui est le principe de ces machines. Et il peut facilement être adapté à des besoins et applications spécifiques, ce qui est également l’une des bases du concept de client léger. Il s’agira à mon sens d’un des axes forts du développement de Linux.l’Oi : Windows Vista n’a pas suscité une forte adhésion du public, et nombre d’utilisateurs ont cherché une alternative. Pourquoi cela n’a-t-il pas plus profité à Linux ?MS : Il est vrai que Linux n’a pas assez profité de l’échec de Vista. S’il avait été prêt à être utilisé par n’importe qui, même par les novices, alors nous aurions bénéficié davantage de la situation. Nous continuons à travailler en ce sens. Ce qui est positif, c’est que nous faisons des progrès constants. Linux devient de plus en plus abordable et intéresse de plus en plus d’utilisateurs. Et la porte ouverte par Vista n’est pas encore fermée. Beaucoup de particuliers se sont demandés s’il n’y avait pas d’alternative à Windows. Et l’effet de ce questionnement est encore palpable.l’Oi : L’arrivée de Windows 7 ne va-t-elle pas effacer l’échec de Vista ?MS : Windows 7 est un meilleur système d’exploitation que Vista. Mais c’est toujours Windows, toujours cette vieille façon d’aborder la technologie. Je reste convaincu que Linux et son modèle de développement open source offrent plus d’avantages en termes d’innovation, de performances et de sécurité. Et chaque jour de plus en plus d’utilisateurs s’en rendent compte.l’Oi : Vous avez évoqué l’intégration d’un Music Store dans Ubuntu 10.04. Quelles en seront les autres principales nouveautés ?MS : Ubuntu 10.04 proposera un nouveau thème graphique, avec des icônes et menus plus ergonomiques. Des changements sont prévus au niveau de l’interface pour netbooks, qui va intégrer une nouvelle barre d’outils, toujours visible à l’écran, donnant accès aux principales applications. Nous avions également pour objectif de réduire le démarrage du système à dix secondes. C’était un objectif difficile à atteindre et, bien entendu, cela dépend de la machine. Je pense que ce sera plutôt de l’ordre de douze secondes. Ce qui est important à retenir, c’est que le démarrage d’Ubuntu sera l’un des plus rapides du marché.
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