« Le futur c’est maintenant, enfin presque », disions-nous dans notre test du Vision Pro il y a un an. Tout est dans le « presque » ! Car force est de constater que le futur, c’est pas maintenant, du tout. Le casque de réalité mixte d’Apple n’a pas engendré la révolution de l’« informatique spatiale » chère au constructeur californien. Pire encore, ils sont nombreux à parler de flop.
Tim Cook n’en est pas encore là. Le patron d’Apple, qui s’est beaucoup impliqué dans le développement de ce produit et n’a cessé de promouvoir la réalité mixte (bien avant le lancement du casque, d’ailleurs), l’a admis dans une interview au Wall Street Journal en octobre dernier :
« À 3 500 $ [4 000 € en Europe, NDR], ce n’est pas un produit pour tout le monde (…) Pour l’instant, il s’adresse surtout aux passionnés et aux pionniers. Ceux qui veulent profiter de la technologie de demain dès aujourd’hui, c’est à eux qu’il est destiné. Heureusement, ils sont assez nombreux pour que ce soit vraiment enthousiasmant ». Tim Cook
La stratégie d’Apple est bien connue : le constructeur n’investit un nouveau marché que lorsqu’il a quelque chose de nouveau et/ou de mieux intégré à proposer. Ce qui peut lui jouer des tours à l’occasion, comme on le voit actuellement sur l’intelligence artificielle générative où l’entreprise accuse beaucoup de retard. Sur la réalité mixte, la firme à la pomme ne fait pas plus figure de pionnier, mais elle y est entrée avec un produit à la fois extrêmement avancé sur certains points… et beaucoup moins sur d’autres.
Du matériel de pointe
Il faut reconnaitre au Vision Pro ses succès : les caméras, les écrans, le suivi oculaire, celui du mouvements des mains et des doigts, tout cela est clairement à la pointe du progrès encore aujourd’hui. Apple n’a pas lésiné sur les composants ; les écrans micro-OLED de 1,14 pouce affichent plus ou moins de la 4K (3 660 × 3 200) pour chaque œil, en HDR et 3D, le tout à une fréquence d’image qui peut monter jusqu’à 100 FPS.
L’appareil compte aussi la bagatelle de 12 caméras, cinq capteurs en tout genre, six micros, un écran externe EyeSight, un duo de puces M2 et R1, un impressionnant système audio par conduction osseuse, le tout dans un châssis en aluminium et verre digne de figurer parmi les plus belles créations industrielles d’Apple.
C’est clair et net : l’expérience de réalité mixte est bien meilleure dans un Vision Pro qu’avec n’importe quel autre casque du marché. L’environnement extérieur reproduit sur les écrans d’Apple y est autrement plus clair et « naturel » que dans un Quest 3. Ce n’est pas encore complètement parfait, le champ de vision est toujours un peu limité, mais le résultat produit par le Vision Pro est sans commune mesure. Si l’on distingue encore des pixels, il faut reconnaitre que la résolution très élevée des écrans du casque d’Apple fait beaucoup pour l’immersion.
D’un point de vue matériel, Apple ne s’est pas moquée du monde. Mais si le Vision Pro est un triomphe technique, le casque accuse aussi des défauts de jeunesse, ce qui est tout de même étonnant pour un produit qui a demandé de nombreuses années de développement et qui sort après tout le monde. Le choix de matériaux haut de gamme est noble, surtout au vu du prix demandé, mais avec ses 600 grammes l’engin fini immanquablement par peser sur le nez au bout d’un moment.
C’est bien davantage que les 515 grammes du Quest 3, qui en plus intègre sa propre batterie. Celle du Vision Pro est en effet externe et à tous les coups, on finit par s’empêtrer sur ce fichu câble. Tout ça pour une autonomie équivalente pour les deux rivaux : un peu plus de 2 heures.
Apple aurait aussi beaucoup à apprendre des sangles du Quest qui rendent le casque plus agréable à porter pendant plus longtemps que les deux bandeaux fournis par Apple pour le Vision Pro. Les années d’expérimentation de Meta paient. Si tous ces petits soucis — de poids, de confort, de batterie — peuvent être résolus relativement rapidement à l’avenir, il y a deux gros problèmes auxquels Apple doit absolument s’atteler pour « sauver » sa stratégie d’informatique spatiale.
Le boulet logiciel
Ces points noirs sont étroitement liés : visionOS d’une part, le contenu immersif (ou plutôt son absence) de l’autre. visionOS est un système d’exploitation encore plus fermé qu’iOS ou iPadOS ; les développeurs pointent du doigt l’insuffisance de la documentation, des outils de développement dans Xcode incomplets, un accès limité aux API (ça s’améliore petit à petit). Mais au-delà de ces soucis techniques qu’il est toujours possible d’améliorer, beaucoup déplorent les pratiques d’Apple en matière commerciale.
En voulant protéger coûte que coûte la sacro-sainte commission de l’App Store, le constructeur a brûlé pas mal de ponts avec les développeurs iOS. Résultat : ils ne se sont pas précipités pour soutenir la nouvelle plateforme visionOS, alors que le constructeur a tant besoin d’eux pour imaginer et concevoir des applications innovantes.
Des poids lourds comme Netflix, Spotify ou YouTube ont décidé de passer leur tour. Et les développeurs indépendants et les petits studios pas échaudés par la politique de l’App Store manquent de temps et de ressources pour un appareil ultra-niche, donc avec une clientèle limitée.
Le hic, c’est qu’Apple ne donne pas le meilleur exemple. D’innombrables applications n’ont pas été optimisées pour visionOS (où sont Pages, Final Cut Pro, ou tout bêtement… Météo ?). D’autres ne sont proposées que sous la forme de leurs versions pour iPad, donc pas spécialement bien adaptées à l’ergonomie du Vision Pro.
Ce désintérêt des développeurs (et d’Apple !) ne plaide pas vraiment en faveur d’un appareil vendu 4 000 €. visionOS souffre aussi de l’approche « centrée sur le client » typique d’Apple : malgré la présence d’un mode invité, il est toujours très compliqué de prêter le casque et de l’utiliser dans un environnement de travail au sein d’une équipe (ou tout simplement en famille). Apple préférerait probablement vendre un Vision Pro à chacun, mais ça n’est guère réaliste au vu du prix du casque.
Et malheureusement, sur tous ces points le Vision Pro n’a pas spécialement évolué en un an. Pire, l’offre d’apps s’est dégradée : celles sorties dans la ferveur du lancement de l’appareil sont plus ou moins laissées en friche par leurs développeurs. Et Apple prend beaucoup trop de temps pour optimiser ses propres apps.
Ce qui nous amène au problème du contenu. Apple est aujourd’hui le seul fournisseur de vidéos 3D immersives à 180 degrés. On est constamment épatés par leur qualité, qui plonge littéralement le spectateur au cœur de l’histoire. Mais voilà, l’entreprise livre ces contenus au compte-goutte. Mises bout à bout, ces vidéos représentent peut-être deux heures de visionnage, ce qui fait cher la minute de contenus immersifs ! Et puis il faut aimer les documentaires animaliers ou les clips musicaux.
Lire « Submerged » : on a vu le premier blockbuster d’Apple conçu pour le Vision Pro
Il existe heureusement des films 3D sur Disney+ et dans la boutique d’Apple TV pour profiter des écrans du Vision Pro — le casque excelle dans cette fonction qui, pour beaucoup, pourrait remplacer un home cinema ! Hélas, pour une seule personne à la fois car le Vision Pro offre une expérience profondément solitaire — l’étrange écran EyeSight est insuffisant, voire ridicule, pour décloisonner le porteur du casque plongé dans son environnement virtuel.
Nul pour les jeux, du mieux pour la productivité
Apple, qui a décidément toujours du mal avec les jeux vidéo, n’a pas pensé le Vision Pro pour cette activité alors que c’est l’argument de vente typique des casques de réalité virtuelle. Il y a bien une poignée de jeux en réalité mixte, mais les contrôles avec les doigts ne sont pas très bien adaptés aux jeux d’arcade. C’est mieux pour les jeux plus calmes, comme les jeux de société. Apple vante la prise en charge des manettes et des jeux 2D, mais ça n’a rien de franchement formidable, et puis le choix se limite à des jeux pensés pour les mobiles.
L’offre en réalité virtuelle est nulle. L’absence de compatibilité avec les contrôleurs du marché, comme ceux du Quest ou du PS VR, interdisent de toute façon l’émergence de ce type de jeux pour le Vision Pro. Ça changera peut-être : il se murmure qu’Apple et Sony travaillent depuis quelque temps au support des contrôleurs du PS VR2. Mais il faudra des jeux derrière.
Une des solutions passe par le cloud gaming. GeForce Now est ainsi disponible depuis peu sur visionOS, directement dans Safari, avec des performances très honorables. Il faut cependant avoir acheté un jeu compatible (il y en a plus de 2 000, dont les principales nouveautés AAA) et avoir sous la main une bonne connexion internet ! Néanmoins, il faut reconnaitre que c’est une option disponible et parfaitement fonctionnelle.
Il existe aussi un certain nombre de solutions pour le streaming en local (y compris depuis un PC !), à l’image de Moonlight/Sunshine. Hélas, les joueurs attendent toujours des nouvelles d’une version visionOS de Steam Link (quant à SteamVR, en l’absence de support des contrôleurs VR, inutile de rêver).
Sur le plan de la productivité, il y a eu du mieux depuis un an. Pas tellement au niveau des apps natives où la sélection est toujours aussi maigre, mais pour la recopie d’écran avec le Mac. Il est maintenant possible d’afficher l’écran de son ordinateur sur un moniteur virtuel ultrawide courbé, l’équivalent de deux écrans 5K côte à côte. C’est grand, très grand, presque trop pour dire la vérité (embrasser la totalité de l’affichage revient à beaucoup bouger la tête), mais cela n’en reste pas moins impressionnant. Et pratique : l’énorme surface d’affichage permet de positionner toutes ses applications sur un seul écran. Idéal pour le multitâche !
À cela s’ajoute l’incrustation du clavier physique dans l’environnement virtuel. Il y a une certaine classe à travailler sur son Mac dans l’environnement paradisiaque de Bora Bora, le clavier dans le sable ! Hélas, cette fonction se limite aux claviers Apple.
Tout cela fait du Vision Pro un périphérique du Mac, ce qui est plutôt ironique quand on sait que le constructeur vante un ordinateur au complet. Cette fonction d’écran virtuel peut éventuellement justifier le prix de l’appareil : après tout, le casque revient moins cher que le Pro Display XDR (6 598 € avec son pied !) avec sa définition 6K et sa diagonale riquiqui de 32 pouces…
Reste qu’il faut vouloir passer la journée avec un casque sur la tête. Ce serait plus facile avec des lunettes, mais Apple n’en est pas encore là.
Pour conclure, un an plus tard
Un an plus tard, le Vision Pro est un semi-ratage qui souligne les forces et les faiblesses d’Apple aujourd’hui. D’un côté, le casque ne cesse d’épater par ses capacités techniques qui font rêver aux lendemains chantants de l’informatique spatiale. De l’autre, l’appareil est limité par un système d’exploitation trop restrictif et par un écosystème qui refuse obstinément de s’ouvrir au monde.
Le Vision Pro souffre des mêmes maux que l’iPad : du matériel de pointe tiré vers le bas par un logiciel et des pratiques d’un autre âge. Apple a lancé ce casque pour démontrer son savoir-faire technologique, sans penser aux usages qui justifieraient son existence face à des solutions établies et parfaitement fonctionnelles (comme le Mac). Trop fermé pour séduire les développeurs, trop cher et trop limité pour convaincre le grand public.
Apple a peut-être posé les bases de son « informatique spatiale », mais un an après, l’impression qui domine, c’est celle d’un produit en quête d’une véritable raison d’être.
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