Jouets, livres, cours privés, ateliers périscolaires, l’apprentissage du code pour les enfants s’est généralisé en seulement quelques années en France. Au sein de cette offre pléthorique, une voix originale s’est levée. Celle d’Amélia Matar, qui a lancé sa start-up Colori en 2017 à destination d’un public de 3 à 6 ans. « A la naissance de mon fils, j’ai eu envie de trouver des activités qui permettent aux jeunes enfants de s’initier à ce sujet et il m’a paru évident que s’agissant de jeunes enfants, il fallait absolument proscrire les écrans », nous confie-t-elle.
L’informatique débranchée
Enseigner le code sans écran, voilà qui ne va pas forcément de soi. Mais Amélia rappelle que l’informatique et ses notions de base peuvent tout à fait être décorrélées de l’ordinateur. Le code est notamment appréhensible par le biais de l’algorithmique. « La notion d’algorithme n’est pas directement liée au numérique. C’est un ensemble d’instructions précises en vue de résoudre un problème », souligne opportunément Amélia. Ce n’est pas une idée nouvelle. De nombreux chercheurs ont d’ailleurs exploré cette voix sous l’appellation d’ « informatique débranchée » (computer science unplugged), l’objectif étant d’enseigner l’informatique non plus seulement comme une technologie mais aussi comme une science.
L’originalité de Colori est de s’inspirer, en plus, de la pédagogie Montessori qui place l’autonomie de l’enfant et la bienveillance de l’adulte au cœur de l’éducation. D’où le nom de Colori, contraction de Code, de Logique et de Montessori. « Il n’y a pas de cours magistraux collectifs, l’enfant est libre de choisir son activité et incité à identifier lui-même ses erreurs », nous explique Amélia Matar.
Le fil des ateliers de Colori, c’est le conte Hayo le petit robot qui se décline en cinq chapitres abordant chacun une notion informatique fondamentale simplifiée. Ils s’appuient aussi sur du matériel en bois ou en papier. Le dispositif le plus sophistiqué est un robot manipulé avec des cartes posées au sol. Parfois, ce sont de simples foulards qui sont mis à contribution, comme lors de ce jeu où un enfant joue le rôle du programmeur et un autre celui du robot, arborant des couleurs différentes aux poignets et aux pieds pour évoluer.
Sortir d’une consommation passive du numérique
200 adultes et 2000 enfants sont déjà passés par Colori, avec un public très divers socialement et géographiquement, allant de Montreuil, en banlieue parisienne, à la communauté de communes de Vichy dans l’Allier. Ecoles publiques comme privées sont concernées. Cette mixité, notre entrepreneuse y tient particulièrement. « J’ai la conviction que le numérique peut être un facteur d’inégalité assez fort, avec d’un côté des personnes qui inscrivent leurs enfants à des cours de programmation et de l’autre, des populations moins éveillées aux enjeux et qui vont subir une consommation passive », analyse-t-elle.
Les #VacancesApprenantes ne sont pas prêtes d'être terminées ! Ici, un petit garçon s'exerce au langage binaire à @VilleDeVichy 🔳 Merci pour le formidable accueil que vous avez réservé à nos ateliers ! #Edtech #codersansecran #NumeriqueSansEcranPourTous pic.twitter.com/jYh28Oxccd
— COLORI (@COLORIEducation) August 27, 2020
Amélia Matar sait de quoi elle parle. Cette trentenaire a grandi à Bondy, en Seine-Saint-Denis et a passé une partie de sa scolarité en Zone d’Education Prioritaire. A cette époque et dans ce département, les enfants ont alors rarement accès à des ordinateurs chez eux. Mais c’est le cas dans sa famille. Depuis l’enfance, elle a même pris l’habitude de traîner dans l’atelier de son père, technicien chez Darty et passionné de nouvelles technologies. Non seulement c’est un early adopter à l’affût des nouveaux produits informatiques mais en plus, il aime soulever le capot des objets qui lui passent entre les mains. Très à l’aise avec le numérique, elle va pourtant s’en éloigner au cours de ses études qui seront d’abord littéraires, avant d’intégrer une école de commerce en management avec option finances. « Probablement à cause du contexte de la société de l’époque, je me suis mis très vite des barrières psychologiques, par rapport aux mathématiques et aux technologies », constate-t-elle aujourd’hui.
L’expérience de la sororité
Le numérique, Amélia Matar va y revenir finalement via la communication pour l’association environnementale Greenpeace. Sans être programmeuse, elle se rend compte qu’elle est plus à l’aise que certains collègues pour bidouiller, entrer dans le code ou paramétrer certains outils pour aller plus vite.
Elle passe ensuite par le marketing au sein de la structure Numa, qui accompagne des start-ups. Amélia est alors témoin de quelques succes story mais surtout, elle croise la trajectoire d’entrepreneurs et d’entrepreneuses atypiques, comme Benjamin Blasco, qui a créé l’application de méditation Petit bambou, ou de Claude Terosier, la cofondatrice des cours de code pour enfants Magic Makers. Ils et elles prônent un numérique à visage humain à cent lieues du stéréotype des startuppers inflexibles qui lèvent des millions pour grossir très vite. Quand elle se lance finalement dans l’aventure Colori, elle a la conviction que son modèle de croissance doit être raisonnable.
Convaincre des investisseurs n’a pas été chose facile, certes, mais elle a trouvé beaucoup de soutien auprès d’autres femmes. Comme Perrine Legal, devenue son associée, ou encore d’Aurélie Jean, une numéricienne qui milite pour que l’informatique soit enseignée au plus grand nombre. Sur son chemin, Amélia aura finalement rencontré peu de sexisme et beaucoup de sororité.
Retrouvez les interview précédentes de Ces femmes qui font la tech avec Heliox et Maëliza Seymour
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