« Circulez, il n’y a rien à voir ! » Patrick Fertil résume ainsi la communication d’Amazon à propos d’un futur site de tri de colis situé près de Fournès, dans le département du Gard. Ce pharmacien retraité fait partie du collectif Association pour le développement de l’emploi dans le respect de l’environnement (Adere), une poignée de « citoyens soucieux de leur cadre de vie ». Ils militent depuis plus d’un an contre la « bétonisation » de 14 hectares de terrain à moins de 5 kilomètres du pont du Gard, classé monument historique au patrimoine mondial de l’Unesco. Et à moins de 400 mètres du village médiéval. En un mois, la pétition « Non à Amazon au Pont du Gard » a récolté plus de 69 000 signatures.
39 000 mètres carrés de stockage
« Initié en juin 2018, le projet mené par le promoteur Argan, prévoit la construction d’un immense centre de tri, à un point névralgique des axes autoroutiers A7 et A9, qui permet de desservir les pays d’Europe du Sud », peut-on lire dans le rapport de l’Adere et des Amis de la terre publié en avril 2020. Le projet de Fournès en quelques chiffres, c’est 39 000 mètres carrés de stockage répartis en six niveaux, soit 234 000 mètres carrés au total, étalés sur 400 mètres de long, 100 de large, et 19 de haut. Mais aussi : 544 poids-lourds par jour, 2 500 véhicules légers, 113 portes de chargement.
Pour Patrick Fertil, ces chiffres montrent la « monstruosité de ce mastodonte et la démesure de son appétit économique ». Côté pouvoirs publics, on en brandit d’autres. Un site de tri Amazon représenterait 600 créations d’emploi et 500 000 euros de taxes. Des chiffres « faussés » et « surévalués » selon le collectif. S’appuyant sur l’étude publiée par l’ex-secrétaire d’État au Numérique Mounir Mahjoubi, en novembre 2019, ils rappellent que pour 1 emploi crée chez Amazon, les commerces de proximité en perdent 2,2.
« Une catastrophe ! »
« Ce projet est un cas d’école de tout ce qu’on ne devrait plus voir au XXIe », analyse Patrick Fertil. Quand on l’interroge sur le pourquoi, le verbe du militant est intarissable. « Dans ce dossier, il y a absolument tous les arguments possibles pour abandonner le projet. » Il énumère les nuisances sonores et visuelles, la pollution, les conflits intérêts des élus locaux, la dégradation de l’environnement, la concurrence déloyale avec les petits commerçants, l’iniquité fiscale… « Une catastrophe ! », conclut-il passablement agacé.
L’affaire a d’ailleurs pris un tournant judiciaire depuis l’été 2019. « Des soupçons de délits ont cependant donné lieu à la saisine du procureur général de la République du tribunal de Nîmes et au dépôt d’une plainte au pénal en juillet 2019 », peut-on lire dans le rapport « Amazon à la conquête de la France ». Le motif ? Plusieurs parcelles des terrains vendus à Argan appartenaient à des élus de la commune ou certains de leurs parents. « Or, ces élus ont participé au débat et voté les délibérations municipales liées au projet alors qu’ils ne pouvaient y participer », dénonce l’association. Depuis, la procédure suit son cours.
Deux mots d’ordre : « opacité et précipitation »
Les charges sont lourdes, pourtant le projet est longtemps resté confidentiel. « C’est au détour des voeux de l’ancienne maire qu’on a appris l’existence de ce projet, dans les tuyaux depuis 2017. Personne n’en avait connaissance à l’époque », raconte-il soulignant qu’aucune consultation publique n’a été menée a priori. Le nom d’Amazon n’est jamais mentionné, ni dans la bouche des élus, ni dans les 450 pages de l’enquête publique réalisée en amont de la délivrance du permis de construire le 25 septembre 2019. « Tout a été fait dans l’opacité et la précipitation », analyse le militant. Lorsqu’on interroge la société américaine sur ce qu’elle appelle les « rumeurs du Gard », la réponse est laconique : « Nous n’avons à ce jour rien à annoncer à Fournès. »
26 % d’augmentation pour les revenus d’Amazon
Mais qui pourrait remplir une telle surface de colis, si ce n’est le géant mondial de la logistique ? Dans le monde, Amazon livre 158 colis par seconde. Grand gagnant de la crise du Covid-19, l’entreprise de Jeff Bezos a vu ses revenus bondir de 26 % au premier trimestre. Et derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne, la France est désormais le troisième marché d’Amazon outre-Atlantique. D’ici 2021, la société aurait 8 à 12 projets de construction d’entrepôts en France, afin de profiter de position stratégique, au carrefour de l’Europe.
À Fournès, grâce à la mobilisation des citoyens, les travaux pour construire le « bâtiment de l’horreur » selon les mots de Patrick Fertil sont sans cesse repoussés. Les habitants semblent s’être fait entendre, puisque 93 % des citoyens contributeurs à l’enquête publique, document préalable obligatoire, se sont déclarés opposés au projet.
L’entrepôt devait sortir de terre en juin 2019, un an après, les seuls éléments nouveaux dans le paysages sont les banderoles anti-Amazon. « Ils ont trop de cailloux dans leur chaussure maintenant, je suis sûr que le projet ne va pas aboutir ! », se félicite le militant. « Une bataille emblématique pour toute la France. »
Source : Rapport de l’Adere et les Amis de la terre [PDF]
*L’article a été mis à jour le 28 juin 2020.
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