Alain Madelin, qui fut ministre de l’Economie et des Finances du gouvernement Juppé en 1995, est, depuis 2007, président du
Fonds mondial de solidarité numérique. Créée en marge du SMSI (le Sommet mondial des Nations Unies pour la société de
l’information qui s’est tenu en 2003 et en 2005 à Genève et Tunis), cette structure vient de souffler sa troisième bougie.Elle affiche un bilan en demi-teinte car au-delà de quelques projets emblématiques et d’idées parfois assez originales (comme le principe du 1 % de solidarité numérique) la grande dynamique d’aide au numérique des pays émergents
relève encore aujourd’hui beaucoup plus de l’illusion que de la réalité. 01net. : L’aide des pays riches aux pays émergents est actuellement ‘ lilliputienne ‘, pensez-vous que cette aide puisse être impactée par la crise financière actuelle ?
Alain Madelin : Indiscutablement. La crise financière actuelle va provoquer un repli de ‘ chacun pour soi ‘ qui va impacter le développement des pays pauvres à commencer par le continent
africain. Le numérique va sans doute échapper à cela. Je crois que l’on va au contraire trouver que le numérique est un levier de développement dans ces pays, dans un contexte difficile.Dans quels domaines ?
Prenez l’éducation numérique pour lequel le Fonds mondial de solidarité numérique a développé un programme important. Il s’agit d’une révolution numérique éducative qui passe, non pas par un ordinateur pour chaque enfant, mais par un
tableau blanc interactif pour chaque classe. Il y en a 450 000 en Grande-Bretagne. Il n’y en a que 3 000 ou 4 000 en France. Mais avec le développement des technologies low cost, on est capable aujourd’hui de
faire du tableau blanc interactif à moins de 1 000 dollars par classe en Afrique et peut-être même encore beaucoup moins.Vous avez donc tendance à préférer en milieu scolaire des projets comme le tableau interactif à des projets comme
l’OLPC
(One Laptop Per Child) par exemple ?
Oui bien sûr. Parce que l’ordinateur pour chaque enfant, c’est amusant, c’est bien. On y arrivera sans doute un jour. Mais le jour où on y arrivera, je crois que les prix des ordinateurs auront considérablement chuté. L’ordinateur n’est
qu’un instrument. Je crois d’abord au professeur. La révolution éducative aujourd’hui, c’est l’enseignant assisté par ordinateur.
Bien entendu, on peut faire des choses avec un enfant par de l’auto-apprentissage. Mais le professeur qui utilise un programme qui a demandé des heures et des heures de travail, à un éditeur, à une communauté de professeurs ou à lui-même,
ça reste aujourd’hui l’outil qui impacte le plus l’enseignement. Au fond, l’ordinateur pour chaque enfant sera à terme un dérivé du tableau blanc interactif. Pour les pays riches en premier, pour les pays pauvres ensuite.Comment construire une solidarité sur un tel sujet entre le Nord et le Sud ?
Nous travaillons en France à une opération de solidarité et que je lancerai prochainement. Le principe est le suivant : pour un tableau interactif acheté par une école française, un tableau interactif sera donné à une école
africain. Mais le tableau interactif n’est pas une fin en soi. Il faut fournir à des professeurs des programmes interactifs qui les aident dans la classe. Pour qu’ils puissent utiliser des exercices, du son, de la 3D, et des vidéos.Comment expliquer la frilosité de certains pays à aider les pays émergents en matière de nouvelles technologies ? Et que répondez-vous à ceux qui pensent que l’aide technologique n’est pas une priorité ?
Je crois qu’il faut bien concevoir que les nouvelles technologies ne sont pas un luxe de pays riches mais un outil de pays pauvres. Le vrai problème est de faire comprendre, notamment aux bureaucraties qui sont chargées dans différents
pays de l’aide au continent africain, qu’elles doivent changer leur offre. Ce n’est pas toujours très simple car il y a de mauvaises habitudes qui ont été prises.Quelles sont les sources de financement de ce fonds de solidarité numérique ?
Nous organiserons le 24 novembre prochain à Lyon, à l’initiative du président de la République française, une grande conférence internationale sur la solidarité numérique. Et nous travaillons beaucoup en ce moment sur les nouvelles
sources de financement possibles. Au niveau de la solidarité par le numérique, cela prend deux formes. La première, c’est comment utiliser l’outil numérique, les transactions numériques et le clics des internautes pour en faire un clic solidaire de
citoyens pour alimenter les causes qu’ils choisissent. Et l’autre type de solidarité consiste, non pas à donner de l’argent, mais du temps et du talent.Avez des initiatives précises à mentionner dans ce domaine ?
Je prendrai l’exemple de ces 1 000 stations de télémédecine pour l’Afrique que nous travaillons actuellement à déployer. Des stations satellitaires de consultations à distance d’un médecin pour un personnel médical isolé dans
un endroit impossible au fin fond de l’Afrique. Comment pour eux, s’agissant de l’aide au diagnostique, être éventuellement en liaison avec un médecin volontaire à Romorantin. C’est du Médecins sans frontières numérique ! Utiliser le numérique
dans le partage des talents et des expériences, c’est je crois une piste extrêmement féconde. Ainsi une ville comme Issy-les-Moulineaux peut participer avec son hôpital, dans le cadre d’un jumelage qu’elle a avec une ville au Mali, à l’installation
d’une station. Elle le finance ou elle le co-finance. De la même façon pour un programme d’éducation numérique nous avons un club de sponsors dédiés à cette opération. Je ne crois pas à des grands programmes partant d’en haut mais à l’éclosion
d’écosystèmes de solidarité, au fait de construire des petites expérimentations. Et que tout cela bourgeonne.
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