Il y a des limites qui ne peuvent être dépassées qu’en acceptant de revoir radicalement sa manière de penser. Dans l’aéronautique, Airbus se voit repousser les limites par le biais des moteurs de ses avions, avec un changement de design au plus profond de ses turbines, indispensable pour justifier d’une quatrième génération d’avion monocouloir, de la famille des A320. Pour en dévoiler les premières briques, Airbus a invité plusieurs de ses responsables en charge de cette nouvelle vision, à Toulouse, lors d’une table ronde.
En parallèle à un travail au niveau des ailes et de la structure même de ses avions, Airbus confirme son intention de passer à un réacteur « open fan », sur son futur A320 de nouvelle génération. Ce dernier n’est pas prévu avant la moitié de la décennie prochaine, mais pour le faire voler d’ici là, il ne faudra pas traîner. Plutôt que de suivre la même logique d’un réacteur équipé de rotors intégrés dans une nacelle, le futur moteur « open fan » supprimera cette dernière, pour élargir considérablement la taille des hélices des turboréacteurs à double flux. Un moyen de déplacer plus d’air, avec moins de carburant, et des moteurs plus légers.
Ces réacteurs seront placés sous les ailes, avec un diamètre pour les pâles qui risque de forcer les équipes en charge du développement à revoir en profondeur leurs croquis. Avec ces open fan, le développement nécessitera beaucoup de ressources, car plusieurs contraintes existent, notamment sur la sécurité et sur le bruit. À plusieurs reprises lors de son sommet à Toulouse les 24 et 25 mars, Airbus laissait la porte ouverte à la possibilité de repousser les moteurs à l’arrière des avions, un dispositif retrouvé généralement sur les jets régionaux ou dans l’aviation d’affaires.
Airbus ne s’occupera pas à directement de la conception de ce futur moteur open fan, pour la quatrième génération de ses A320. L’avionneur s’est tourné vers CFM International, une coentreprise entre le Français Safran et l’Américain GE Aerospace. À Toulouse, son directeur des opérations et chef de la division Technologie Mohamed Ali déclarait qu’il travaillait déjà avec les autorités pour les certifications du nouveau design, sur la question de la sécurité et de la gestion du bruit en particulier. Techniquement, il précisait que le moteur open fan tournerait à une vitesse de 1 000 tours par minute, trois fois moins vite que les réacteurs conventionnels.

Sur les soixante-dix dernières années, l’industrie aéronautique a déjà fait des progrès en matière d’efficience, en réduisant la part du kérosène l’efficacité de la propulsion. Mohamed Ali précisait que le ratio entre le thrust (propulsion) et le fuel (kérosène) était passé d’un ratio de 2/3 à 5/6 puis 11/12 dans les années 2000. Le moteur open fan permettrait de surpasser une résistance sur moteurs conventionnels et venir contribuer à la réduction de 20 à 30 % de la consommation des avions attendue sur la future génération d’appareils.
Boeing en retard, mais pas absent
Malgré le coup de projecteur sur la technologie à Toulouse, le moteur open fan n’est plus un secret depuis 2021, lorsque CFM International lançait le programme RISE (Revolutionary Innovation for Sustainable Engines). Il n’est pas, non plus, une exclusivité européenne, puisque les États-Unis sont aussi responsables de son développement, avec le travail de GE Aerospace, mais aussi de Boeing, de la NASA et du Oak Ridge National Laboratory – connu pour avoir travaillé sur le développement de la bombe A.
Ensemble, ces acteurs américains réitéraient leur intérêt en novembre 2024, lors de l’annonce de nouveaux travaux de modélisation du moteur par le biais de superordinateurs. À ce moment, le Department of Energy annonçait avoir dépassé les 840 000 heures de travaux sur des machines virtuelles, par le biais du programme INCITE leur donnant accès à deux des trois superordinateurs les plus rapides de la planète, Frontier (Oak Ridge National Laboratory) et Aurora (Argonne National Laboratory). La question n’est donc plus de savoir si Boeing réfléchit aussi à des moteurs open fan pour ses 737.

D’un côté comme de l’autre de l’Atlantique, la modélisation numérique a laissé place aux travaux en soufflerie. À Toulouse, Mohamed Ali précisait que les premiers essais étaient prometteurs, avec des moteurs installés sous des ailes, dans des tunnels hors norme. Le plus long d’entre eux se trouve en France, dans les Alpes et lançait en janvier des tests simulants les conditions en vol, par faible pression atmosphérique et en vitesse de croisière. D’autres tests sont prévus pour reproduire les conditions à plus faible vitesse, lors des phases de décollage et d’atterrissage.
Concernant les essais en vol, Airbus prend les devants. Le 25 mars, l’avionneur indiquait qu’il montera un moteur open fan sur un A380. L’exemplaire du quadriréacteur est actuellement utilisé pour des essais en vol d’un moteur fonctionnant à 100 % avec du carburant SAF. Il remplacera l’un de ses turboréacteurs par un prototype open fan, en conservant les trois autres réacteurs conventionnels pour garder une marge suffisante de sécurité en cas de problème. Le vol est actuellement programmé « à la fin de la décennie », à quelques mois d’intervalles avec un autre test, cette fois-ci effectué au sol, pour un système intégré de propulseur à hydrogène.
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