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Affaire TikTok : tout comprendre au procès qui pourrait changer l’avenir du réseau

Lundi 16 septembre a débuté aux États-Unis le bras de fer judiciaire qui oppose TikTok au gouvernement américain. La plateforme chinoise se bat bec et ongles contre la loi d’avril 2024, qui interdira d’ici janvier 2025 le réseau social chinois aux États-Unis, à moins qu’il ne soit vendu à une société américaine. Si vous n’avez rien suivi de cette affaire, voici ce qu’il faut en retenir.

TikTok parviendra-t-il à échapper à son bannissement ou à sa vente forcée aux États-Unis ? Lundi 16 septembre, trois juges de la Cour d’appel de Washington ont écouté les argumentaires du gouvernement américain et du réseau social préféré des moins de 20 ans. D’un camp à l’autre, les deux parties se sont évertuées à commenter la loi signée en avril dernier par le président américain Joe Biden. Ce texte obligera la maison mère chinoise de TikTok, ByteDance, à quitter le territoire américain, à moins qu’elle ne vende ses parts dans le réseau social à une société américaine. L’opération doit avoir lieu d’ici le 19 janvier prochain, faute de quoi l’application utilisée par 170 millions d’Américains sera bloquée dans le pays.

Face à un texte jugé arbitraire, TikTok avait immédiatement formé un recours devant la cour d’appel du District de Columbia à Washington. Et en ce premier jour d’audience, c’est ByteDance, la maison mère de la plateforme, qui a ouvert le bal : ses avocats ont d’abord été entendus, avant de laisser la place à la partie adverse, le gouvernement américain. Comment en est-on arrivé là ? Qu’est-ce qui est en jeu, et que risque réellement TikTok dans cette affaire ?

Comment en est-on arrivé là ?

Le conflit entre TikTok et l’administration américaine ne date pas d’hier. Depuis des années, la plateforme chinoise est soupçonnée dans le pays d’être « un cheval de Troie du parti communiste chinois ». En 2018, le réseau social est lancé outre-Atlantique. Il remporte un succès si fulgurant qu’il attire l’attention du CFIUS, le comité des investissements étrangers aux États-Unis, sur fond de rivalité technologique et systémique sino-américaine. En 2019, ce comité décide d’ouvrir une enquête – car TikTok, comme tous les réseaux sociaux, collecte les données personnelles de ses utilisateurs pour les monétiser. Ces dernières sont-elles envoyées en Chine et transmises au gouvernement chinois, qui pourrait s’en servir pour espionner certaines personnalités ?

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Depuis 2017, une loi chinoise oblige en effet les entreprises du pays à « soutenir, aider et coopérer en secret avec les services de renseignement de l’État », y compris lorsqu’elles opèrent à l’étranger. De quoi inquiéter le CFIUS, qui évoque déjà une menace pour la sécurité nationale des États-Unis. L’enquête, jusqu’ici administrative, prend une tournure plus musclée en 2020, lorsque Donald Trump déclenche une guerre commerciale avec la Chine. L’ancien président américain ira jusqu’à menacer le réseau social d’interdiction, avant que Joe Biden arrive à la Maison-Blanche.

Pendant un temps, les tensions s’apaisent, et TikTok prend soin de montrer patte blanche avec son projet Texas, un plan censé couper tout lien entre les activités américaines de TikTok et sa maison mère.

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Mais fin 2022, tous ses efforts tombent à l’eau. Une enquête de Forbes montre que des employés de ByteDance, travaillant en Chine, auraient essayé d’identifier via des comptes TikTok les sources de journalistes anglo-saxons de BuzzFeed, du Financial Times et du New York Times. TikTok explique qu’il s’agit d’une « initiative malencontreuse » prise par des salariés qui ont tous été licenciés, et qui était contraire au code de bonne conduite de l’entreprise. En vain. À partir de ce moment-là, des projets de loi visant à interdire la plateforme dans le pays sont discutés.

La plateforme, accusée d’être un instrument de soft power utilisé par 170 millions d’Américains, est aussi soupçonnée de nuire à la santé mentale des adolescents. En ligne de mire : son algorithme qui rend le réseau très addictif et qui aurait tendance à mettre en avant des contenus problématiques comme des vidéos prônant l’anorexie ou des jeux dangereux. Cinq projets de loi sont discutés dans le pays, mais seul un texte parvient à franchir l’étape du bureau de Joe Biden : la loi signée en avril dernier qui prévoit le bannissement de la plateforme, à moins qu’elle ne soit cédée à une entreprise américaine. C’est ce texte qui est attaqué par TikTok devant la cour d’appel de Washington.

Comment se défendent TikTok et le gouvernement américain ?

Quels sont les arguments en jeu ? D’un côté, TikTok estime que la loi d’avril n’est pas conforme à la constitution américaine, car elle violerait le sacro-saint principe de liberté d’expression protégé par le premier amendement. Cette législation réduirait « au silence ceux qui utilisent la plateforme pour communiquer d’une manière qui ne peut être reproduite ailleurs », plaide la plateforme chinoise.

De l’autre, le gouvernement américain soutient qu’il s’agit avant tout d’une question de sécurité nationale « d’une profondeur et d’une ampleur immenses », les intérêts des États-Unis étant en jeu. Les risques pour le pays seraient si importants qu’ils l’emporteraient sur la liberté d’expression.

Dans cette affaire, le gouvernement s’appuie pour son argumentaire sur des documents classifiés, que TikTok ne peut pas examiner ou contre lesquels il ne peut pas s’opposer, explique The Verge. Selon nos confrères, ces documents chercheraient à démontrer que le gouvernement chinois est en mesure d’obliger ByteDance à remettre les données des utilisateurs américains, ou à diffuser des contenus spécifiques auprès des utilisateurs américains.

Lundi, les juges se sont penchés en particulier sur l’algorithme de TikTok, cherchant à comprendre si le gouvernement chinois pouvait ou non le manipuler pour diffuser des fake news auprès des 170 millions d’Américains utilisateurs de la plateforme.

D’autres pays vont-ils suivre cette approche (interdiction/cession forcée) ?

Cette affaire a évidemment de l’importance pour TikTok, car outre les conséquences économiques et géopolitiques de l’exclusion en elle-même du marché américain et de la perte d’un outil puissant de soft power, elle pourrait avoir un effet domino. La loi d’avril et ce litige sont bien entendu limités au territoire américain, mais les Alliés des États-Unis pourraient décider d’adopter des approches similaires. Lorsque les États-Unis ont interdit l’utilisation du réseau social sur les smartphones professionnels des fonctionnaires fédéraux en janvier 2023, certains pays et organisations ont fait de même, à l’image du Royaume-Uni, de la Belgique, de la France, de la Commission européenne, de la Nouvelle-Zélande, et du Canada.

Lorsqu’en mars 2023, la Maison-Blanche a durci sa position envers TikTok, en demandant au Congrès américain d’adopter rapidement la loi visant à interdire TikTok – ce qui aboutira un an plus tard à la loi d’avril – des déclarations similaires ont été faites au sein de l’Union européenne. Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, a par exemple expliqué en avril dernier lors d’un débat que l’interdiction de TikTok en Europe était bel et bien une option.

Au Royaume-Uni aussi, des politiques ont réclamé une interdiction du réseau social dans le pays, comme l’ancien chef du parti conservateur, Iain Duncan Smith, qui a déclaré en mars dernier : « Nous aurions dû le faire nous-mêmes ».

Quelles sont les prochaines étapes ?

À quoi devons-nous nous attendre dans les prochains mois ? La décision de la Cour d’appel sera probablement rendue en décembre, selon plusieurs médias américains. Que le tribunal confirme ou non la constitutionnalité de la loi, l’affaire devrait aller jusqu’à la Cour suprême des États-Unis. TikTok utilisera en effet tous les recours possibles et inimaginables pour échapper à l’alternative imposée par cette loi : le bannissement ou la cession.

Et même si les juges américains estiment que la législation doit bel et bien s’appliquer, de nombreux points d’interrogation demeurent : quelle société américaine aura la capacité financière de racheter TikTok, sans tomber sous le coup des lois antitrust, en moins de neuf mois ?

Qu’est-ce qui serait cédé, est-ce l’algorithme, est-ce la partie américaine de TikTok – la plateforme peut-elle d’ailleurs réellement être scindée ? Si c’est le bannissement qui est appliqué, comment le mettre en pratique ? Autre difficulté : le délai prévu par la loi. La question devra en effet être réglée au plus tard le 19 janvier : entre temps, l’élection présidentielle américaine sera passée. Or Donald Trump, qui avait déjà tenté d’interdire TikTok en 2020, a déclaré en mars dernier qu’il s’opposerait désormais aux tentatives d’interdiction de la plateforme.

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Stéphanie Bascou
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