Nouveau rebondissement dans
l’affaire Techland. Le tribunal de grande instance de Paris a annulé l’ordonnance du 22 janvier 2007 qui obligeait les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à communiquer les
coordonnées de certains clients à l’avocate de l’éditeur polonais du jeu Call of Juarez. Les internautes en question étaient soupçonnés d’avoir téléchargé illégalement ce jeu qui se déroule à l’époque de la conquête de
l’Ouest américain. Pour les prendre sur le fait, des relevés d’infractions comprenant les adresses IP des machines incriminées avaient été établis par un tiers, la société helvétique Logistep.Certains FAI s’étaient soumis à cette ordonnance. Des abonnés avaient ainsi eu la désagréable surprise de recevoir un courrier dans lequel était proposé un règlement à l’amiable : en échange du versement d’une somme de
400 euros, ils échappaient à toute poursuite judiciaire.Mais Alice, Neuf Cegetel, Orange et Tele2, refusant de se soumettre à cette injonction, ont contre-attaqué. Soutenus par l’Association française des fournisseurs d’accès (AFA), ils ont engagé un ‘ recours en
rétractation ‘, selon le terme officiel, pour la faire annuler. ‘ Tout en étant fort attachés au respect du droit des auteurs, nous ne pouvons accepter des procédés contraires à notre droit et aux principes de
respect de la vie privée de nos clients ‘, argumentait Tele2. La justice leur a finalement donné raison.
Absence de déclaration à la Cnil
Dans sa décision du 25 juin dernier, le tribunal de grande instance de Paris a en effet estimé que la procédure n’était pas légale. ‘ Techland a engagé une procédure d’urgence sur requête par définition non
contradictoire. Or, selon nous, les fournisseurs d’accès devaient pouvoir se défendre dans une procédure contradictoire, explique Estelle de Marco, juriste pour l’AFA. En tant que FAI, nous sommes obligés de respecter la
loi de 1978 [dite Informatique et Libertés, NDLR], ce que n’a pas fait l’avocate française de Techland dans sa procédure. ‘L’article 22 de cette loi mentionne que ‘ les traitements automatisés de données à caractère personnel font l’objet d’une déclaration auprès de la Commission nationale de l’informatique et des
libertés ‘. Une procédure dont s’est passée l’avocate de l’éditeur, comme le confirme la Cnil. ‘ La société, de droit polonais, n’était pas tenue de faire une déclaration auprès de nos services. En
revanche, son avocate, installée en France et qui détenait un CD de données comprenant les adresses IP et l’horodatage des supposées infractions, était, elle, tenue de le faire ‘, souligne Mathias Moulin, juriste pour
la Cnil.Ce n’est pas la première fois que ce manquement casse une procédure. Dans une décision du 14 décembre 2006, le tribunal correctionnel de Bobigny avait, en première instance,
prononcé la relaxe d’un internaute soupçonné d’avoir téléchargé illégalement de la musique sur les réseaux peer to peer parce qu’aucune autorisation
préalable n’avait été demandée à la Cnil. A l’époque, l’infraction avait uniquement été relevée par des agents assermentés de la Sacem.
Les internautes déjà identifiés pourraient être poursuivis
Aujourd’hui, les conséquences de l’affaire Techland varient pour les internautes. La rétractation de l’ordonnance vaut pour tous, même pour les abonnés des FAI n’ayant pas engagé de recours. Ceux qui ont téléchargé illicitement le jeu
Call of Juarez et n’ont pas reçu de lettre de conciliation ne verront en principe arriver aucun courrier, du moins tant qu’une nouvelle ordonnance ne sera pas prononcée.En revanche, ceux qui ont reçu cette fameuse lettre ne sont pas certains de ne pas être inquiétés, à terme, par la justice pour téléchargement d’?”uvre protégée. ‘ L’identification des internautes avec
leur adresse IP est un autre volet. Celles qui ont été faites l’ont été avant la rétractation de l’ordonnance [elle était donc valable, NDLR]. Les consommateurs identifiés devront faire valoir leurs droits
dans une procédure à part, dans laquelle ils pourront utiliser notre recours en rétractation ‘, explique la juriste de l’AFA.Par ailleurs, les internautes peuvent saisir la Cnil pour l’alerter de la constitution illégale de fichiers informatiques comportant des données personnelles. Cette déclaration peut être faite au moyen d’un formulaire en ligne. Certains
ne s’en sont pas privés. ‘ Nous avons reçu des plaintes. Les internautes doivent savoir qu’ils disposent d’un droit d’accès à ces données et d’un droit de rectification. Ils peuvent par ailleurs saisir les
tribunaux ‘, conseille Mathias Moulin.En effet, selon l’article 226-16 du code pénal, ‘ le fait, y compris par négligence, de procéder ou de faire procéder à des traitements de données à caractère personnel sans qu’aient été respectées les
formalités préalables à leur mise en ?”uvre prévues par la loi est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende ‘. Le cabinet d’avocats de Techland en France ne serait ainsi pas à l’abri de
poursuites judiciaires. Contacté, il s’est refusé à tout commentaire sur les éventuelles suites de l’affaire.
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