Depuis l’annonce de la fermeture par la justice américaine de MegaUpload, les Anonymous font couler de l’encre et parler la poudre. Ce groupe d’hacktivistes multiplie les attaques en déni de service et les opérations un peu plus élaborées (« défacement » ou récupération de données). On ne compte plus les sites, français, américains, brésiliens, etc. mis hors ligne ou dont la page d’accueil a été remplacée (défacée) : les sites de Vivendi, du ministère français de la Justice, de l’Elysée, du bureau du copyright américain, etc. Certains sites d’artistes ont été defacés, c’est notamment encore le cas, à l’heure où nous écrivons ces lignes, du site de Rihanna.
La plupart de ces sites tombent quelques minutes, heures puis reviennent à la vie. Pour réussir, les Anonymous font appel aux bonnes volontés, aux « indignés » jusque-là discrets. Comme en témoignent de nombreux messages sur la timeline Twitter des comptes Anon, qu’ils soient américains ou français.
Le DDoS comme forme d’expression citoyenne
Et dès lors, on ne peut que constater le chemin parcouru entre le hack du début des années 90, réservé à une élite, où quelques grands noms ou « clubs » officiaient, et qui s’accompagnaient (déjà) souvent d’un parfum de justice citoyenne, et cet « hacktivisme de masse ». Car, hormis, les essentielles, pour ne pas dire quintessentielles, intentions politiques et militantes, on aboutit à un système où n’importe qui, le premier script kiddie venu, peut se faire justicier du Web.
Le DDoS serait-il donc une forme de sit-in, où les cybercitoyens se manifestent, bloquent l’accès à un lieu virtuel, avant de retourner à leur vie ? A la différence près qu’on a parfois l’impression d’une sorte de nébuleuse Anonymous. Certaines personnes se réclament de ce groupe et appellent à une attaque pour mieux être désavouées ou simplement contredites sur d’autres canaux. Pas facile, quand on s’adresse à une hydre anonyme de savoir si on parle ou lit les propos d’une tête approuvée.
«Mort de rire à ceux qui disent que nous nous préparerions à attaquer Twitter, Facebook et YouTube… Pourquoi les Anon voudraient-ils planter leurs moyens de communication ?»
La tentation de l’anonymat
Du coup, parfois, l’aspect Robin des bois, qu’on se trouve par inclinaison naturelle à soutenir, s’entâche d’une ombre bien plus inquiétante. On a l’impression de flirter avec un groupuscule sans tête, impalpable, qui défend ce qu’il entend, quand il l’entend. Allant parfois trop loin. Car si on peut comprendre des manœuvres militantes visant à frapper au portefeuille, en donnant accès gratuitement au catalogue d’une major, comme cela a été le cas hier pour Sony Music, il est plus difficile de souscrire à la publication de données personnelles d’une personne. Quand bien même cette personne est le directeur du FBI.
Le pouvoir aux cybercitoyens
Dès lors, on comprend l’urgence qu’il y a à structurer la démocratie pour qu’elle prenne en compte sa composante Internet. Il faut offrir (et encourager) des moyens d’expression réels et efficaces aux citoyens pour entendre (et écouter) leur voix. Car, aussi salvatrices soient les actions des Anonymous, elles dispensent finalement la majorité des citoyens de prendre en main leur destinée, numérique ou réelle.
Au XXIe siècle, la démocratie ne pourra pas tourner le dos à son pan numérique. La fermeture de MegaUpload a montré qu’un Etat démocratique pouvait, en faisant justice et en respectant son droit, mettre à mal l’esprit de partage et de liberté d’expression qu’on associe si volontiers au Net.
Mais l’affaire MegaUpload a également montré que les cybercitoyens peuvent se mobiliser ou manifester leur mécontentement. Reste à ce que les détenteurs du pouvoir législatif comprennent ce besoin d’expression et de liberté, mieux qu’ils l’accompagnent, autrement que par la répression… Répression, qui, disons-le clairement, part d’un postulat erroné. Considérer l’internaute comme un consommateur est une erreur qui ne peut mener qu’à un durcissement de positions condamnées à être caduques sitôt établies. L’internaute étant avant tout un citoyen, et pas juste un consommateur. Il ne faut pas que l’affaire MegaUpload soit uniquement le début de la World War Web, mais bien une chance pour la démocratie.
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