On peut le déplorer, les bonnes idées naissent fréquemment dans les situations de crise. Des crises, Soissons en a vécu une dans les années 90, avec les départs successifs de quelques-uns des plus beaux fleurons de l’industrie
locale, tel que Michelin en 1999. Au total, près de mille deux cents emplois ont été directement supprimés dans cette ville de trente mille habitants, sans compter les pertes d’emplois indirectes. Et sans même parler du départ du régiment
local, le 67e d’infanterie, soit quatre cents militaires. ‘ Le cycle industriel se termine de façon un peu violente, explique Pascal Tordeux, conseiller général. Sans préparation particulière, nous
n’avons pas assez anticipé la conversion du bassin sur d’autres activités, contrairement à d’autres localités. La ville était en état de choc, car, bien souvent, les personnels licenciés venaient d’emplois peu qualifiés.
‘ Pourtant, Soissons ne manque pas d’atouts, avec un tissu commercial dense et performant, et des services médicaux et comptables florissants.
Un rôle de diffuseur des NTIC dans le tissu social
Mais avec des voisins comme Reims, Compiègne ou Saint-Quentin, et la proximité de Paris, il était difficile d’envisager attirer beaucoup d’entreprises. Une seule solution : se différencier. Dans l’agitation des
groupes de réflexion formés pour identifier les axes de reconstruction, l’idée de créer un pôle d’excellence en logiciel libre, le SIL (Soissons Informatique Libre), a lentement fait son chemin. ‘ Au départ,
c’était une idée confuse, et l’on m’a pris pour un martien, reconnaît Jean-Marc Loire, président du SIL et par ailleurs médecin radiologue. Mais nous étions dans la folie internet à cette époque, et nous
avons consulté l’Anvar qui a validé l’idée de base. Il n’existait pas de démarche comparable en France, même si des expériences avaient été tentées. ‘ Après six mois d’explications sur le logiciel
libre, un consensus s’est formé. ‘ Quand on explique à un élu qu’il y a cent lycées dans sa région, que chaque lycée dispose de cent PC et qu’il a dû débourser six cents euros par poste pour les licences du
système d’exploitation et de la suite bureautique, la perspective d’installer du logiciel gratuit et fiable sur ne serait-ce que la moitié de ces postes, et d’économiser ainsi trois millions d’euros, attire
l’attention ‘, constate Jean-Marc-Loire. En outre, les sommes économisées ouvrent de nombreuses possibilités de formation et de démarches incitant les utilisateurs à prendre réellement en main leur système. C’est
donc également une source de création d’emploi.Dans les attributions du pôle, figurent des missions de conseil, d’évaluation et de coordination dans différents projets touchant en particulier à l’éducation et à la diffusion des technologies de l’information dans
le tissu social. Pour les financer, le pôle SIL peut compter sur un budget d’environ deux cent mille euros, financé à parts pratiquement égales par la municipalité, le département de l’Aisne et la région Picardie (Direction régionale
de l’industrie, de la recherche et de l’environnement), à hauteur de trente mille euros chacun, et complété par l’Etat, via le Sgar (Secrétariat général pour les affaires régionales). ‘ Nous conseillons la
région sur l’implantation du haut débit par exemple, dans la mesure où nous avons déjà avancé sur ce sujet pour Soissons ‘, explique François Désarménien, directeur de SIL et trésorier de l’Aful (Association
francophone des utilisateurs de Linux et du logiciel libre). Il y a bien sûr l’offre de France Télécom. Mais il y a aussi d’autres intervenants comme Cegetel, avec le réseau SNCF, qui n’arrive pas très loin
d’ici. Il faut donc faire jouer la concurrence et étudier toutes les possibilités. ‘ De même, l’éducation est au c?”ur de nombreux projets, et intéresse tout le monde. ‘ Equiper et maintenir des
salles multimédias dans cinquante-quatre collèges représente un coût important. Avec le logiciel libre, et en particulier le projet Abuledu, on peut envisager d’installer ces salles gratuitement ‘, indique François
Désarménien.
Le libre et le haut débit forcément imbriqués
Dédiée à l’éducation, la solution Abuledu est constituée à partir de terminaux interchangeables et d’un serveur à l’administration extrêmement simplifiée, ne nécessitant pratiquement pas de maintenance. Un site
pilote est en activité dans l’agglomération. ‘ Nous l’avons installé, et nous n’en avons plus entendu parler ‘, se réjouit François Désarménien. Travailler beaucoup pour l’éducation,
faire de la coordination de projets en relation avec les différentes associations et travailler avec le groupe Abuledu pour finaliser : ‘ On ne peut pas distinguer le développement informatique et du logiciel libre de
l’arrivée du haut débit sur un territoire, constate Pascal Tordeux. Les études sont très avancées. Nous aurons la capacité de recevoir les entreprises intéressées, à l’échéance de la fin de l’année, avec 100
Mbits sur tout le réseau. Si l’on peut proposer du haut débit et des coûts d’installation réduits, je suis sûr qu’il y a des gens qui n’hésiteront pas à délocaliser. ‘
Se préparer à de nouveaux usages
La technopole de Soissons s’est développée en synergie avec SIL, susceptible de se mobiliser pour d’éventuels nouveaux arrivants. Ainsi, Paul Everitt a choisi Soissons pour y créer sa fondation Zope Europe.
‘ Paul avait des contacts avec Zope Allemagne, explique François Désarménien, mais il ne disposait pas d’infrastructure. ‘ Cette double casquette, qui peut poser problème vis-à-vis des
instances régionales ou départementales (‘ Pourquoi à Soissons plutôt qu’ailleurs ? ‘), porte en elle-même sa justification. ‘ La spécificité du pôle logiciel libre donne sa légitimité à
notre technopole, indique Philippe Carpentier, directeur de ladite technopole. Si vous n’accueillez pas de grandes entreprises technologiques sur votre territoire, vous ne bénéficiez d’aucune crédibilité. Le
logiciel libre constitue le socle sur lequel nous pouvons fonder de nouveaux réseaux de relations. Nous avons reçu le soutien d’experts et de grandes associations comme l’Aful ou l’April [Association pour la promotion
et la recherche en informatique libre] sans réticences, malgré notre manque d’expérience. ‘‘ La valeur ajoutée du haut débit n’est pas réellement pour les entreprises, elle est pour les particuliers, prophétise François Désarménien. Si vous demandez à un citoyen lambda s’il
a besoin aujourd’hui de 100 Mbits, il dira non. Mais de nouveaux usages émergeront. La génération qui arrive est porteuse d’une utilisation du système très différente. Si elle dispose du haut débit et de la maîtrise technique, elle
saura quoi en faire. Les grandes écoles ont aussi, dans leur majorité, adopté le libre, et les jeunes issus de ces écoles vont à leur tour le promouvoir en entrant dans la vie active. ‘ Les jeunes structures de demain auront
peut-être envie de venir à Soissons, car elles sauront qu’elles seront accueillies.
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