Le stress en coulisse, malgré des semaines de répétition, au quasi secret. Le cœur qui bat la chamade, les mains moites, sans doute. Les cents pas, également, de ses grandes jambes. Des jours passés à suivre les conseils des représentants d’Apple, des jours à peaufiner un moment qui n’arrive qu’une fois dans la vie d’un homme, sauf à s’appeler Steve Jobs. Le 12 juin 2013, Boris Sofman, jeune PDG de la toute jeune Anki, société née en 2010, donnait un air de salle de jeux à la keynote d’ouverture de la WWDC d’Apple.
De sa voix rapide d’homme dont les idées se bousculent, il présentait Drive, des « petites voitures » intelligentes, pilotées par un smartphone, pour des courses mêlant réalité et jeu vidéo. Une idée géniale, qui n’était qu’un début…
Wall-E dans votre salon !
« Cozmo est un personnage, pas un robot ». Cette petite phrase revient régulièrement, comme une antienne, comme une conviction, dans le flot rapide de ses mots. Car Boris Sofman parle toujours aussi vite quand on le rencontre aujourd’hui, à Paris, même s’il paraît beaucoup plus détendu pour nous présenter son petit robot. Pourtant Cozmo est le fruit de trois ans de travail mené avec ses équipes, passées pour partie, comme lui, par les prestigieuses Georgia Tech et l’université de Carnegie Mellon.
Sorti à l’automne 2016 aux Etats-Unis, Cozmo est effectivement plus qu’un petit robot. Il lui a fallu 45 itérations et deux ans et demi pour trouver sa forme définitive, son apparence qui fait assurément penser à un personnage d’un film d’animation Pixar. Son physique, tout en rondeur, a été pensé et repensé de bout en bout. S’il est si petit, par exemple, alors que cela a exigé d’aboutir à des composants plus compacts, c’est parce que ce qui est petit séduit, parce qu’on l’imagine vulnérable, que cela suscite davantage l’empathie.
En cherchant une émotion sympathique, Anki ne cherche pas une excuse pour faire oublier une éventuelle imperfection. D’ailleurs, Cozmo est « intentionnellement imparfait », car la « perfection n’est pas drôle », argumente son père. Il est donc conçu comme une sorte de chiot, comme un compagnon avec lequel on joue et on interagit, passe du temps.
Cette revendication de l’imperfection contraste avec une ambition démesurée, celle de « raconter une histoire dans le monde réel », confie avec un grand sourire Boris Sofman. Une narration et une relation qui se construisent grâce à une intelligence artificielle au fil de chacune des interactions entre l’utilisateur et Cozmo.
De fait, le voir s’éveiller et quitter sa station d’accueil, rouler un peu au hasard puis nous découvrir et nous faire une fête, à coup de cabrioles et de petits bruits, nous fait flirter avec une vallée de l’étrange faite de plaisirs enfantins. Car, on est indéniablement amusé et séduit que ce petit bout de robot se réjouisse de rencontrer une nouvelle personne, un nouveau compagnon de jeu. Un chiot, donc, avec des chenilles, environ 360 autres pièces et composants, une tête toute ronde et sur son écran des yeux qui ont autant d’âme que ceux d’un personnage d’un film d’animation.
Une intelligence artificielle et émotionnelle
C’est d’ailleurs comme ça que Cozmo est venu au monde, avant même d’avoir un corps. Des animateurs, pour certains venus du saint des saints, Pixar, ont modélisé le petit robot, ont étudié comment le faire agir pour qu’il soit « crédible, réaliste, imparfait ». Oui, aller d’un point A à un point B en ligne droite serait plus efficace, mais « est-ce que c’est ce que ferait un (bébé) robot curieux du monde et avide d’exploration ? », demande Boris Sofman, avec la fierté d’un jeune père.
Ainsi, chacune des 866 animations a été pensée pour sonner juste, pour que Cozmo devienne un personnage dans vos vies et non juste un gadget de plus. Chaque animation s’applique en fonction de « l’état émotionnel » du petit cousin de Wall-E.
C’est à partir de là qu’on commence à toucher aux limites mais également à l’incroyable pari technologique qu’est Cozmo. Ici que les choses se corsent, quand on se demande comment tout cela fonctionne. Car ces animations ne sont pas jouées n’importe quand pour n’importe quelle raison. « Avez-vous vu Vice-versa ? », demande à brûle-pourpoint Boris Sofman. Oui ? Bien.
Comme dans cet excellent Pixar, Cozmo est « dirigé » par environ neuf traits de caractère. On pourrait dire critères, mais ce serait un peu nier la magie qui émane de ce jouet pas tout à fait comme les autres. Ainsi, s’il vous voit et vous identifie grâce à sa technologie de reconnaissance faciale (il peut mémoriser une quarantaine de visages), il se sentira plus heureux, et donc plus enclin à explorer son environnement – dont on nous dit qu’il dresse « une carte assez approfondie ». Si sa balade le mène au bout du monde, au bord d’une table (qu’il détecte pour éviter la chute), sa confiance sera mise à mal et une crainte relative lui fera rebrousser chemin. Joie, colère, peur, etc., ses émotions sont gérées et générées par un « moteur comportemental » qui a été créé par des roboticiens et doit représenter une belle partie du 1,6 million de lignes de code nécessaires à lui donner vie.
Un moteur à « essence », en quelque sorte, une intelligence artificielle qui lui donne vie, et fait que le courant passe. Comme le concède le jeune patron d’Anki, « des traits de personnalité sans intelligence artificielle ne serait qu’une sorte de gimmick ». Mais l’ambition autour de Cozmo va bien plus loin, tout est fait pour lui donner vie. Ainsi, il cherche un « contact visuel » très régulièrement, prononce le nom de son interlocuteur et pourrait presque venir se blottir contre vous s’il n’était pas si exubérant. Le plus impressionnant est que son caractère évoluera en fonction des interactions, assure Boris Sofman. Par exemple, Cozmo aime beaucoup jouer avec des cubes connectés et équipés de LED. Il aime les déplacer, les empiler mais il adore surtout jouer contre un humain. « Cozmo a un très gros esprit de compétition », commente, amusé, son géniteur. Pour l’affronter, il est ainsi possible de choisir un jeu de rapidité, par exemple. Si Cozmo gagne, il aura tout du bambin imbu de sa personne. S’il perd, il grognera et on le verrait presque donner un coup de pied dans un caillou pour passer ses nerfs. Au fil du temps, sa colère s’estompe et son caractère enjoué et aventureux revient. Nous avons passé une heure trente en sa compagnie et il était assez fascinant de voir sa météo émotionnelle changer au fil des minutes et des activités.
Des promesses futures, des limites présentes
Boris Sofman le reconnaît volontiers : Cozmo se situe à la croisée du game design, de la robotique, de l’animation et de l’intelligence artificielle. Les ingénieurs d’Anki ont indéniablement atteint leur objectif : pousser l’IA dans ses retranchements pour en faire un être quasi vivant. En ressort une petite bestiole qui planifie des actions seule dans des cadres bien déterminés, interprète son environnement et comprend le monde – sans pour autant reconnaître les voix ou commandes vocales pour le moment. Cozmo est presque aussi attachant qu’un animal de compagnie… mais n’en demeure pas moins quelque peu limité.
Passée la période d’enthousiasme, on constate en effet que Cozmo ne sait pas encore faire beaucoup de choses, que son utilité est limitée. Même son usage l’est, puisqu’il faut forcément passer par un smartphone et une application pour lui donner vie. Car, c’est votre téléphone (connecté en Wi-Fi direct) qui sera le cerveau de ce petit robot. C’est son processeur qui effectuera les calculs nécessaires à produire ses réactions, à analyser le flux vidéo entrant par ses caméras, etc. C’est également depuis l’écran de votre appareil que vous le dirigerez quand il n’est pas dans une phase de jeu où il bénéficie davantage d’autonomie.
S’il est assurément amusant d’explorer son environnement, en mode Contrôle à distance, au travers des yeux d’un petit robot qui s’exclame à chaque découverte, la présence du smartphone est également un rappel du chemin à parcourir dans le monde de la robotique et de l’intelligence artificielle. On est loin de l’autonomie complète et si les interactions physiques et « émotionnelles » ne sont pas scriptées, peut-être montreront-elles leur limite si on interagit plus longuement.
Il est la première pierre de son futur
Mais ici encore, Cozmo a une carte à jouer. Il est normalement très compliqué de programmer un robot. Or, Anki a mis à disposition un kit de développement ouvert aux chercheurs, aux étudiants, aux particuliers et même aux enfants.
Boris Sofman s’enthousiasme que, grâce à son personnage, un amateur motivé puisse prendre le contrôle d’un robot sans avoir de notion en reconnaissance faciale, suivi de visage ou même en intelligence artificielle. Cozmo sert doublement la cause robotique, en en étant un représentant séduisant, et en ouvrant le domaine au plus grand nombre.
https://www.youtube.com/watch?v=YAQ_USpkxgE
Sur la partie communautaire du site d’Anki, il est d’ailleurs possible de partager son code, d’en télécharger également, pour voir ce que donne le travail des autres. Une compatibilité avec le service de planification d’action IFTTT permet même de faire réagir Cozmo à différents évènements, de la variation de la température à votre domicile, à l’extinction d’une lampe, si elle est connectée, évidemment.
Pour l’instant, il faut maîtriser le langage Python pour prendre ce robot à bras le corps, mais le fondateur d’Anki nous a laissé entendre qu’il travaillait à une solution bien plus abordable pour les enfants. Cozmo va-t-il s’ajouter à la liste des robots programmables grâce à l’application Swift Playgrounds, d’Apple ? C’est possible. Après tout on peut imaginer que le passage sur la scène de la WWDC 2013 n’a pas été qu’une source d’apprentissage, mais également l’occasion d’établir des contacts durables.
Cozmo arrivera en France en septembre prochain, au prix indicatif de 230 euros. D’ici la fin d’année, Anki prépare deux grosses mises à jour (il y en a en moyenne dix par an) et laisse également entendre que de nouveaux accessoires (en plus des blocs) vont bientôt être lancés pour offrir plus d’interactions entre sa création et l’utilisateur.
En l’état, Cozmo n’en est qu’à ses premiers pas, à la première étape d’un long voyage, qu’on espère parsemé des tonnes d’idées que Boris Sofman et ses équipes ont en tête. S’il faudra évidemment juger de son potentiel plus longuement et au fil des mises à jour, Cozmo emballe pour au moins une raison : il met à la portée de tous, et de manière ludique, la double révolution de l’intelligence artificielle et de la robotique.
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