Depuis l’arrivée de l’iPhone, l’informatique personnelle s’est engagée sur une courbe d’accélération inimaginable, poursuivant la révolution du PC en glissant un ordinateur omniprésent dans la poche d’un nombre croissant d’utilisateurs dans le monde. Lors de l’introduction de son premier smartphone, Steve Jobs en faisait un « outil de communication révolutionnaire pour Internet ». De fait, l’iPhone ouvrait au grand public la porte du Web, il lui donnait accès à une somme de connaissance et d’informations en mobilité jamais égalée dans l’histoire.
Dix ans plus tard, le constat est plus nuancé: les applications mobiles sont passées par là et ont morcelé le Web, vampirisé le temps passé sur nos téléphones portables. Au point que les utilisateurs de smartphones n’utilisent presque plus les navigateurs mobiles… et donc le Web. Ces chiffres de Flurry Analytics parlent d’eux-mêmes. En gardant en tête que le nombre d’heures dévolues au smartphone croît chaque année, les browsers occupaient 20% du temps passé sur un smartphone en 2013, 14% en 2014, 9% fin 2015 et seulement 8% fin 2016. Ce n’est plus une érosion, c’est une débâcle.
A l’occasion du lancement de Firefox 57 Quantum, nous nous sommes longuement entretenus avec Mark Mayo, senior vice-président de Firefox, sur le rôle du navigateur, les enjeux du Web ouvert et la responsabilité – tout autant que le combat – de Mozilla au cœur de la révolution du mobile.
Le mobile, un nouveau monde incompris
Le grand virage des smartphones a été porté par un changement de paradigme, les applications s’étant imposées comme le moyen privilégié de consultation d’information… au détriment du Web. Une situation que Mark Mayo explique par un « aspect pratique [qui] est clairement favorable. Les utilisateurs aiment avoir tout ce qu’ils veulent à un seul endroit et que tout se charge vite. Il y a des tonnes de raisons pour expliquer le succès d’une appli comme celle de Facebook et de son feed », commente-t-il. Mais la praticité des applications n’est pas la seule raison de leur succès.
Alors que le Web – « une grande ressource publique pour tous » – est une des plus grosses révolutions dans la courte histoire de l’Humanité, il « n’a pas réalisé sa transition vers le mobile et ses valeurs n’y trouvent pas écho », constate le responsable de Mozilla. « Bien sûr, tout repose sur le protocole HTTP et des serveurs… mais les standards ouverts et les garanties que tout soit accessible partout, tout le temps, facilement, n’ont pas vraiment trouvé leur place. », regrette-t-il sans désespoir.
Mark Mayo explique que le succès des apps a été facilité par le fait que les concepteurs de navigateurs ont mal jugé les smartphones. « L’erreur que nous avons tous commise, nous autres gens des navigateurs, c’est de traiter le mobile comme un ordinateur portable avec un écran plus petit. Nous avons été réellement lents à comprendre à quel point les smartphones allaient tout transformer et à quel point le paradigme d’interaction était différent. Ce n’était pas simplement un gros pointeur de souris, c’était… autre chose. »
Une « trahison » et un nouvel espoir
Mark Mayo va même un peu plus loin. Alors que Mozilla est l’un des défenseurs les plus ardents du Web ouvert, son senior vice-président endosse en effet une partie des responsabilités de l’échec actuel du Web mobile : « Pour être vraiment honnête, nous avons trahi le Web, nous l’avons laissé tomber. Les navigateurs n’ont pas apporté la bonne expérience mobile. Nous avons espéré que ce soit le cas, mais espérer ne suffit pas. »
Pour autant, Mark Mayo croit en un avenir meilleur et demeure convaincu que le « navigateur » a une place sur le mobile, où il incarne de facto une garantie démocratique d’accès libre à l’information. Néanmoins, cela implique une réinvention de l’outil. « Nous devons ré-imaginer comment le contenu Web peut fonctionner sur le mobile. En coulisse, cela reste un navigateur, même si cela ne ressemble pas et ne se comporte pas comme un navigateur », raconte le représentant de Firefox. Une quête difficile au cours de laquelle les équipes du navigateur libre ont eu une première réussite éclairante. « Le succès de Focus nous a fait prendre conscience que les navigateurs classiques ne sont pas la bonne solution. Quand on se débarrasse des idées préconçues sur ce que devrait être un navigateur, on aboutit à des expériences utilisateurs qui peuvent être bien meilleures ».
Deux nouvelles tentatives : une pour l’info…
Inventer un browser qui n’en soit pas un : les équipes de Mozilla sont revenues à la quintessence de leur mission, donner un accès libre et pratique à l’information. Mais aussi permettre son partage et, mieux, de contribuer au Web, d’y être actif…
Dans cette optique, Mark Mayo nous a annoncé que Firefox travaille à deux applications de ce genre. « L’une ne peut pas encore être montrée, mais le sera d’ici la fin d’année », nous confie-t-il. « C’est une application tournée vers les news », explique-t-il. Au-delà de son service premier, elle a pour mission de « permettre la collecte d’informations depuis plusieurs sources afin de faire changer les utilisateurs de point de vue sur une même acutalité ». Quand on lui demande si c’est la contribution de Mozilla à la lutte contre les fake news, le senior vice-président de Firefox nous répond que ce n’est pas une réaction à ce phénomène, mais que cela s’inscrit clairement dans une réflexion sur ce contexte.
Comme bon nombre d’utilisateurs, Mark Mayo constate que « l’expérience de lecture des news sur un site d’informations depuis un navigateur mobile est plutôt mauvaise ». Les équipes de la Fondation ont donc choisi « une nouvelle approche, fruit d’une longue réflexion ». Quand on lui demande davantage de détails, il nous répond que le produit sera mis rapidement sur le marché pour pouvoir l’amender en fonction des retours mais pour l’heure, il faut être patient. « Nous serons heureux d’en parler dès que ce sera prêt », conclut-il.
… l’autre pour apprendre le Web aux jeunes
L’autre application est différente et sera destinée aux plus jeunes utilisateurs, « aux enfants, qui n’ont jamais pu se frotter au miracle qu’est la publication d’un contenu sur le Web », avance Mark Mayo, un brin lyrique, en mettant le doigt sur un point qui fait mal. Car on est désormais essentiellement consommateur sur le Web et plus acteur. Les équipes de Firefox veulent renouer avec une époque pas si lointaine où la Toile était… magique. « Peut-être qu’on est nostalgique, mais c’était quelque chose d’incroyable quand vous mettiez en ligne votre premier billet de blog, votre première page Web. », se rappelle-t-il, avant de revenir à 2017. « Nous avons repensé à tout cela en nous disant à quoi ressemblerait notre première création si nous n’avions pas de navigateur et d’ordinateur portable, seulement un téléphone. » La réponse sera disponible très bientôt sous la forme d’une application et devrait s’appeler Hopscotch.
Elle cible donc les enfants, qui pourront grâce à elle prendre une photo sur Instagram ou sur un site Web, et la reposter sur leur propre espace. Derrière le service et le partage, se cache une fois encore une sorte de mission citoyenne, une volonté d’éclairer les utilisateurs : « Nous allons voir si on peut leur faire réaliser qu’ils n’ont pas à rester dans une seule application, dans un seul silo. Il faut qu’ils comprennent qu’on peut aussi prendre à droite ou à gauche. », s’enthousiasme Mark Mayo, conscient du travail d’évangélisation.
Si les détails ne sont pas très nombreux sur le fonctionnement de Hopscotch, on sait qu’elle permettra également d’ajouter ses propres photos, ses éléments personnels. Bien entendu, tous les contenus seront postés sur le Web et consultables depuis n’importe quel navigateur. Plutôt que de se lancer dans une longue explication, le représentant de Firefox fait appel à une analogie d’un autre temps : « c’est une sorte de mixtape mobile pour tout ce qu’on trouve sur le Web. Cela devrait sortir d’ici la fin d’année, en bêta, avec un peu de chance. »
Si Firefox a « trahi » ou « laissé tomber » le Web ouvert et libre pour tous, c’est bien malgré lui. Conscient des erreurs du passé et de l’enjeu colossal aux frontières du monde réel et du monde numérique, les équipes du navigateur open source travaillent à tenter de ramener les utilisateurs de smartphones là où souffle la liberté, sur le Web. Une chose est sûre désormais : pragmatique et aux aguets, Mozilla entend ne laisser passer aucune chance de défendre et promouvoir ce patrimoine mondial. Mark Mayo a un credo : « On n’abandonne pas le Web mobile, c’est notre prochain pari, notre gros objectif ». A nous, utilisateurs, de les suivre dans ce combat, de les aider dans cette quête.
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